Notre série « Un monde fragmenté » examine le sommet des BRICS qui vient de se conclure et la façon dont le groupe cherche à rééquilibrer l’ordre mondial. Nous croyons que le passage à un monde multipolaire et plus fragmenté justifie une vision différente de la répartition des portefeuilles.
Comme on dit, le choix du moment est crucial. Le plus important sommet des BRICS de l’histoire s’est déroulé cette semaine dans un contexte de changements géopolitiques importants, de conflits militaires intenses en Europe de l’Est et au Moyen-Orient, et de changements géopolitiques continus dans le monde – soit la période la plus lourde de conséquences depuis la fin de la guerre froide, de notre point de vue.
Des hauts dirigeants de 35 pays en développement, dont 22 chefs d’État, se sont réunis à Kazan, en Russie, pour le 16e sommet annuel des BRICS. Bon nombre de ces pays cherchent à se joindre officiellement à l’association ou à y coopérer sous une forme ou une autre. Le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, y a également participé.
C’est sans doute l’un des plus grands événements géopolitiques de l’année et un rassemblement qui, selon nous, est assez important, non seulement en raison des participants, mais aussi en raison des décisions qui ont été prises et du développement continu de l’association BRICS.
Trente-cinq pays en développement ont participé au 16e sommet annuel des BRICS de 2024
Membres des BRICS
- Brésil
- Russie
- Inde
- Chine
- Afrique du Sud
- Égypte
- Éthiopie
- Iran
- Émirats arabes unis
Autres pays qui ont participé
- Arménie
- Azerbaïdjan
- Bahreïn
- Bangladesh
- Bélarus
- Bolivie
- Congo
- Cuba
- Indonésie
- Kazakhstan
- Kirghizistan
- Laos
- Malaisie
- Mauritanie
- Mongolie
- Nicaragua
- Arabie saoudite*
- Serbie
- Sri Lanka
- Tadjikistan
- Thaïlande
- Turquie
- Turkménistan
- Ouzbékistan
- Venezuela
- Vietnam
* L’Arabie saoudite a reçu une invitation à devenir membre des BRICS en août 2023, sous réserve d’une adhésion en janvier 2024. Le pays n’a pas encore officiellement clarifié son statut au sein de l’association. Il n’a pas assisté à la réunion du sommet de 2024 réservée aux membres, mais il a participé aux séances de sensibilisation et à divers autres événements au cours de l’année.
Sources : RBC Gestion de patrimoine, déclarations des délégations de pays participants, première et deuxième séance plénière du XVIe sommet des BRICS dans le format Outreach/BRICS Plus
Au-delà du battage : comment les BRICS perçoivent-ils le monde?
Sommet après sommet, il continue d’y avoir de la désinformation et de la confusion au sujet de ce que sont les BRICS et de ce qu’ils ne sont pas.
Avant d’évaluer les principaux enjeux liés au sommet, voici notre aperçu des BRICS et de la façon dont l’association perçoit le monde.
- Il s’agit d’un groupe de pays en développement qui cherche à former un « monde multipolaire ».
- Selon eux, la période qui a commencé après la fin de la guerre froide – lorsque les États-Unis sont devenus la seule grande puissance et ont essentiellement mené l’ordre mondial (une période souvent décrite comme un « monde unipolaire ») – est en train de passer à une nouvelle ère, ou l’a déjà fait.
- Ils croient qu’ils devraient avoir davantage leur mot à dire dans les affaires mondiales.
- Ils accordent une grande valeur à la souveraineté nationale et cherchent à la renforcer pour leurs propres pays.
- Ils recherchent un « ordre et un système mondiaux justes » basés sur le respect mutuel, et encouragent l’inclusivité et la recherche de consensus.
- Ils souhaitent tisser des liens commerciaux, financiers, stratégiques et culturels plus étroits.
- Ils se soutiennent mutuellement sur le plan diplomatique lorsqu’ils sont d’accord. Lorsqu’ils ne sont pas d’accord, ils n’exercent pas de pressions excessives les uns sur les autres. Ils tentent de raisonner et de persuader, et non de menacer.
- Ils ne s’ingèrent pas mutuellement dans les affaires internes des autres pays et s’opposent fortement aux pays occidentaux qui tentent de le faire.
- Ils s’opposent à ce qu’on appelle les « sanctions économiques unilatérales » et aux sanctions secondaires. De nombreux membres des BRICS jugent ces sanctions « illégales » parce qu’elles ne sont pas approuvées par le Conseil de sécurité des Nations Unies.
- Ils sont contre l’utilisation des monnaies, en particulier le dollar américain, comme arme de politique étrangère et préfèrent une bonne diplomatie à l’ancienne.
- Ils préconisent la réforme et l’amélioration – et non l’élimination – des institutions financières mondiales de l’ère de Bretton Woods, comme le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale.
- Ils estiment que l’Organisation mondiale du commerce est devenue dysfonctionnelle et qu’une réforme s’impose.
- Ils accordent la priorité à l’expansion du Conseil de sécurité des Nations Unies et à la restructuration d’autres organismes des Nations Unies afin de donner une plus grande voix aux pays d’Asie, d’Amérique latine et d’Afrique. Selon eux, les pays alignés sur l’Occident ne devraient plus avoir un droit de regard disproportionné par rapport à ces organismes.
Les BRICS n’ont pas été formés pour être un bloc politique et économique officiel comme l’Union européenne (UE).
En fait, ses membres rejettent catégoriquement le terme de « bloc » et ne cherchent pas à en devenir un. Ils affirment constamment qu’ils ne sont « pas contre qui que ce soit ». L’Inde, en particulier, ne veut pas que les BRICS soient perçus comme une entité anti-occidentale.
Les BRICS ne sont pas non plus formés pour être une alliance officielle de sécurité militaire comme l’OTAN. Ils n’ont aucune composante militaire. La participation de la Turquie au sommet de cette année et son désir de coopérer davantage avec les BRICS – il s’agit du premier et seul pays de l’OTAN à l’avoir fait jusqu’à présent – le confirment. Si les BRICS avaient des objectifs militaires, toute participation d’un pays de l’OTAN serait écartée.
Certains membres des BRICS, comme l’Inde, les Émirats arabes unis et le Brésil, entretiennent de très bonnes relations avec les États-Unis et l’Occident, et ils ont l’intention de maintenir des liens forts.
Expansion de l’empreinte des BRICS
Peu importe comment l’on perçoit l’association BRICS et les différents pays concernés, nous pensons qu’il est impossible de les mettre de côté.
Le groupe a indiqué qu’il avait l’intention de prendre de l’expansion en invitant certains pays parmi les participants au sommet à devenir « partenaires BRICS », ce qui constituerait une nouvelle étape vers le processus d’adhésion complète. Dans le passé, les invitations à devenir membre des BRICS nécessitaient le consentement de tous les membres existants et un certain équilibre régional.
Nous croyons que d’autres participants au sommet seraient probablement invités à divers événements des BRICS à l’avenir ou à participer d’autres façons informelles. Il y a eu plus de 200 événements cette année et d’autres suivront.
De plus, il est prudent de porter attention aux membres des BRICS et aux éventuels nouveaux partenaires, compte tenu des changements géopolitiques spectaculaires dans lesquels un certain nombre de ces pays sont impliqués. Ou, comme les dirigeants chinois se plaisent à le dire, de tels changements qui n’ont pas été observés depuis 100 ans.
Poids économique, influence économique?
Les pays du BRICS croient qu’ils méritent un plus grand rôle dans les affaires mondiales, car ils disposent collectivement d’un poids économique important et d’abondantes ressources naturelles, qu’ils peuvent transformer en poids économique considérable.
Comme Bloomberg News l’a souligné cette semaine, selon les plus récentes prévisions du FMI, « l’économie mondiale devrait, pour stimuler l’expansion, compter davantage sur le groupe des BRICS des économies émergentes que sur les économies occidentales plus riches ».
Le FMI s’attend à ce que la Chine devrait apporter la contribution de loin la plus importante à la croissance du PIB mondial de 2024 à 2029, exprimée selon la parité du pouvoir d’achat (PPA), suivie de l’Inde, puis des États-Unis. La tranche suivante devrait être menée par l’Indonésie, puis la Russie, le Brésil, la Turquie, l’Égypte, l’Allemagne, le Japon et le Bangladesh. Parmi ces 11 pays, tous sauf les États-Unis, l’Allemagne et le Japon ont participé au sommet des BRICS.
Les économies des neuf États membres des BRICS dépassent déjà la taille des économies du G7 lorsqu’elles sont exprimées en PPA, et le FMI prévoit que l’écart devrait s’élargir, comme le montre le graphique à la page suivante.
Le poids économique des BRICS augmente
Part des pays du G7 et du BRICS dans le PIB mondial selon la parité du pouvoir d’achat en dollars américains*
Le graphique linéaire montre la part des pays du G7 et celles des pays BRICS dans le PIB mondial selon la parité des pouvoirs d’achat, de 1995 à 2029; les données de 2024 à 2029 sont fondées sur les prévisions du FMI. En 1995, un écart très important séparait les deux groupes, la part du G7 étant à 46 % et celle des pays BRICS, à 18,5 %. Le PIB du G7 par rapport au PIB mondial a considérablement diminué depuis, tandis que le PIB des pays BRICS a augmenté de façon constante par rapport au PIB mondial. Le FMI prévoit que cette tendance se poursuivra tout au long de sa période prévisionnelle, qui s’étend jusqu’en 2029. La part du PIB mondial revenant aux pays du G7 et aux neuf pays BRICS était égale, 32 %, en 2017. Par la suite, le poids du G7 a reculé pour toucher 29,5 % et celui des pays BRICS a grimpé pour atteindre 35,8 % en 2023. D’ici 2029, le FMI prévoit que la part du G7 reculera et totalisera 27 %, tandis que celle des pays BRICS augmentera pour s’élever à 38 %.
Le PIB des neuf pays membres des BRICS a dépassé celui du G7 en 2018, et la tendance devrait se poursuivre. Même avant l’expansion aux BRICS, les cinq membres précédents avaient surpassé le G7 en 2021.
* Les données de 2024 à 2029 sont des prévisions du FMI.
Sources : RBC Gestion de patrimoine, base de données du FMI; données en date du 24 octobre 2024
Bourse des céréales : tirer parti de l’abondance de l’agriculture
Au sommet, les membres des BRICS ont adopté la proposition de la Russie de créer une bourse des céréales pour les pays des BRICS.
Nous considérons cette initiative comme l’évolution la plus importante de l’association depuis que quatre nouveaux membres (l’Égypte, l’Éthiopie, l’Iran et les Émirats arabes unis) ont été ajoutés au groupe traditionnel du Brésil, de la Russie, de l’Inde, de la Chine et de l’Afrique du Sud en janvier 2024.
- Premièrement, les plans de mise en œuvre d’une nouvelle bourse des céréales montrent que les BRICS se transforment, passant d’un « club » de pays aux vues semblables à une association qui vise à intégrer des plateformes pratiques pour faire progresser les intérêts et les développements économiques.
- Deuxièmement, cette initiative souligne que l’intégration plus profonde est une priorité et démontre qu’il serait possible de créer éventuellement des institutions liées aux BRICS pour fournir au moins un peu plus de structure à l’association.
- Troisièmement, nous pensons que la bourse des céréales BRICS profitera aux pays en développement qui y participent.
Le commerce des céréales et d’autres marchandises agricoles est dominé depuis des décennies par les bourses américaines et occidentales, qui fixent effectivement les prix à l’échelle mondiale, et une grande partie des marchandises se négocient en dollars américains.
Voici, selon les membres des BRICS, les objectifs de cette nouvelle bourse :
- Établissement de prix des céréales « justes et prévisibles ».
- Protection des pays participants contre la spéculation sur les prix et les pénuries alimentaires artificielles.
-
Protection des marchés nationaux contre les interférences externes.
- Amélioration de la sécurité alimentaire des pays participants.
- Facilitation du commerce des céréales en monnaies nationales.
Le groupe a laissé la porte ouverte à l’ajout d’autres produits agricoles à la bourse à l’avenir.
Les pays membres des BRICS produisent une quantité considérable de céréales; les estimations de divers agrégateurs de données sur la production de marchandises vont de 40 % à 54 % de l’offre mondiale. Ils produisent également une part mondiale importante de la viande, du poisson et des produits laitiers.
Comme les neuf États membres des BRICS comptent pour 45 % de la population mondiale, ils représentent une part importante de la consommation mondiale de céréales.
Il convient également de noter que la Russie a proposé de créer une plateforme BRICS distincte pour le commerce des métaux précieux et des diamants, qui sont d’autres marchandises actuellement dominées par les marchés occidentaux. Les pays des BRICS disposent également d’une capacité de production et de ressources considérables.
Système de paiement : beaucoup de travail à faire
Les membres des BRICS travaillent à l’élaboration d’un système de chaîne de blocs qui faciliterait les paiements financiers entre eux. Les dirigeants des pays des BRICS ne tardent pas à souligner qu’il ne s’agit pas d’une solution de rechange au système mondial SWIFT exploité par les pays occidentaux. Son but est simplement de renforcer et d’améliorer leurs propres systèmes de communication interbancaires.
Nous comprenons que des spécialistes des finances, des banques centrales, des technologies, des affaires juridiques et de la législation des pays membres des BRICS doivent se pencher sur une abondance de questions afin de mettre au point un système de paiements BRICS. Nous croyons que leur travail sera prudent et délibéré; personne ne prendra la tête de la locomotive.
Une fois le travail technique terminé, les chefs d’État des BRICS devront prendre la décision de lancer le système et de déterminer le niveau de participation de leur pays respectif. Il n’y a pas d’échéancier pour cette initiative.
Les membres des BRICS n’envisagent toujours pas officiellement une monnaie unique, sujet qui a fait l’objet d’un battage dans la presse et par les pessimistes à l’égard du dollar américain, et nous ne pensons pas que ce projet verra le jour de sitôt, pour diverses raisons. Les dirigeants et les hauts fonctionnaires l’ont clairement affirmé à maintes reprises, notamment à Kazan.
Resserrement des liens sur des intérêts qui se chevauchent
Voici de nouvelles initiatives et des mesures de coopération approfondies à l’égard des partenariats bilatéraux et multilatéraux existants que les membres des BRICS proposent également :
- le développement de corridors de transport et de logistique (corridor nord-sud, route maritime du Nord et corridor maritime de l’Est);
- l’expansion du réseau électrique, le transport d’électricité entre les pays et la coopération dans le domaine de l’énergie nucléaire;
- l’élaboration d’un système d’échange de quotas d’émission de carbone;
- la prestation de soins de santé préventifs et avancés;
- la coopération en matière d’intelligence artificielle et de cybersécurité;
- des domaines humanitaires, comme la coopération culturelle et sportive.
Ils envisagent également d’élargir la Nouvelle Banque de développement (NBD) des BRICS en y ajoutant une plateforme de placement. Il nous semble que l’objectif de cette soi-disant « banque BRICS » soit d’adopter un nombre accru de caractéristiques de sa cousine de bien plus grande envergure, la Banque internationale pour la reconstruction et le développement de la Banque mondiale. On s’attend à un accroissement du financement public et des investissements privés des fonds souverains des pays BRICS, ce qui pourrait avantager les pays en développement membres de la NBD.
Investir dans l’ère multipolaire
Les événements qui se sont produits lors du sommet des BRICS à Kazan, où des pays cherchent à rééquilibrer l’ordre mondial, combinés au protectionnisme commercial croissant des États-Unis depuis 2018, renforcent notre opinion selon laquelle le passage à un monde multipolaire, plus fragmenté, justifie une vision différente de la répartition des portefeuilles.
Comme nous l’avons expliqué dans notre rapport de mai 2023 intitulé Un monde fragmenté : risques et occasions à l’aube de la démondialisation, les importants changements géopolitiques et géoéconomiques en cours exigent une nouvelle façon de penser.
Il ne faut plus considérer les pondérations des actions et des titres à revenu fixe sous l’angle de la mondialisation coopérative qui a eu lieu lors des dernières décennies. Nous ne croyons pas que cette ère reviendra de sitôt.
À notre avis, une gestion plus active des expositions aux pays, aux secteurs et aux entreprises s’impose en raison de cette nouvelle ère. Par exemple, nous pensons que les tendances posent des défis à la croissance économique européenne, et que les obstacles sont déjà visibles.
Un certain nombre de secteurs d’importance stratégique semblent sur le point de profiter des changements géopolitiques qui se produisent, et nous les mentionnons à la page 10 de ce rapport.
Toutefois, si les tendances protectionnistes perdurent, comme nous le pensons, la croissance économique mondiale et les gains boursiers risquent d’être plus faibles que durant l’époque bénie de la mondialisation.
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