L’économie américaine a fait preuve d’une résilience surprenante après la pandémie, ce qui a perturbé les prévisionnistes à la fois de la Réserve fédérale américaine (la « Fed ») et du secteur privé. L’un des grands facteurs de cette résilience a été, selon nous, l’augmentation du déficit budgétaire fédéral. La croissance des dépenses publiques financées par emprunt a stimulé la demande, ce qui a contribué à faire grimper les salaires des ménages, les bénéfices des sociétés et, au bout du compte, les prix des actifs.
Les déficits ont comblé selon nous les manques à gagner de l’économie à mesure qu’elle s’est redressée, mais nous sommes de plus en plus préoccupés par l’ampleur du découvert gouvernemental. À 6,5 % du PIB, nous sommes en territoire inconnu pour l’économie moderne des États-Unis : c’est la première fois que le gouvernement enregistre un déficit aussi important hors récession. À notre avis, il s’agit d’une voie risquée pour la politique budgétaire.
Nous devrions préciser dès le départ que nous ne sommes pas préoccupés par la dette fédérale. Comme nous l’avons maintes fois abordé dans le passé, nous croyons que les craintes à l’égard de défauts de paiement aux États-Unis sont largement exagérées et que les États-Unis sont « riches » en actifs publics et privés, ainsi qu’en capacité de production.
Les déficits présentent une double menace
Mais le déficit actuel est différent et, de notre point de vue, cela est préoccupant à deux égards.
D’abord et avant tout, la possibilité d’une croissance rapide insoutenable exerce des pressions sur l’inflation. La logique est simple : l’économie américaine tourne à plein régime, les salaires et les rendements de placement élevés alimentent la consommation des ménages, et les occasions liées à l’intelligence artificielle (IA) propulsent les investissements des sociétés. Ajoutons à cela le coup de fouet supplémentaire donné par les dépenses déficitaires du fédéral, qui stimulent la demande.
Ce qui est moins simple, c’est de trouver de la capacité excédentaire pour répondre à cette demande. Le taux de chômage oscille autour de 4 %, soit un point de pourcentage en deçà de sa médiane à long terme, et même si la technologie promet une plus grande productivité, il est peu probable que l’effet se fasse sentir au cours des deux prochains trimestres. Les échanges commerciaux ont souvent comblé le vide de l’offre intérieure, mais ils pourraient être moins fréquents cette fois-ci en raison des droits de douane potentiels et d’une surveillance accrue aux postes frontaliers. Le résultat semble être une possible pression à la hausse sur les prix.
La deuxième préoccupation des investisseurs liée au déficit est l’ampleur de l’offre d’obligations à venir. Les marchés sont certainement en mesure d’absorber les émissions d’obligations du Trésor américain à notre avis, comme elles demeurent le type de valeur le plus important et le plus liquide au monde. Toutefois, le fait d’émettre des billions de dollars d’obligations en moins de 12 mois risque de nuire à l’appétit des investisseurs et au bilan.
Des taux plus élevés constituent un frein, mais peuvent être appliqués différemment
Ce contexte donne deux raisons pour lesquelles les taux d’intérêt américains à long terme demeureront élevés par rapport aux faibles taux d’intérêt de la dernière décennie, selon nous. La croissance rapide et l’inflation rendent les actions et les autres actifs sensibles à la croissance intéressants par rapport aux coupons fixes. L’abondance de l’offre signifie que les emprunteurs – gouvernement compris – pourraient devoir payer des coupons plus élevés afin d’attirer des acheteurs.
Mais des taux élevés – à l’instar des prix élevés du proverbe – ont tendance à se corriger d’eux-mêmes.
Cette correction peut se produire de deux façons.
La première est un ralentissement du secteur privé qui compense les politiques expansionnistes du gouvernement. Dans une certaine mesure, cela se produit déjà à l’heure actuelle. Le mois dernier, plusieurs sociétés ont annulé l’émission de milliards de dollars d’obligations parce que les taux étaient trop élevés. En revanche, les ventes manquées d’obligations se traduisent par une diminution des placements et un ralentissement des embauches expansionnistes.
Par le passé, c’est le déficit fédéral qui a réagi aux changements dans l’activité du secteur privé, mais rien ne dit que la dynamique ne peut pas fonctionner en sens inverse. Nous pourrions être témoins des premières étapes de ce revirement.
La deuxième façon, c’est si ni le gouvernement ni le secteur privé ne change de cap et que la croissance se poursuit à son rythme actuel. Si cette dynamique se révèle inflationniste, comme cela nous semble possible, la Fed serait contrainte de réagir et de relever les taux d’intérêt à court terme pour provoquer un ralentissement de la croissance.
Nous sommes d’avis qu’il est probable que la majeure partie du travail sera effectué par le secteur privé, qui s’ajustera à des taux plus élevés. Du côté de la Fed, nous estimons qu’une réelle hausse de taux est peu probable et que, au plus, les investisseurs pourraient repousser les augmentations de taux prévues à plus tard cette année.
Pour être juste, il existe une troisième façon : le gouvernement fédéral pourrait emprunter la voie d’un budget plus équilibré. Même si des efforts sont déployés en ce sens – notamment par l’équipe d’Elon Musk appelée « Department of Government Efficiency », ou « DOGE » –, nous entrevoyons d’importants obstacles politiques à la mise en œuvre rapide d’un important repli budgétaire. C’est simple : les gens aiment recevoir des prestations fédérales et n’aiment pas payer plus d’impôts.
L’incertitude économique ne devrait pas être synonyme de paralysie des placements
Même si le risque de taux d’intérêt plus élevés est présent et que la croissance pourrait ralentir en conséquence, nous ne croyons pas que les investisseurs doivent quitter le terrain. Tout d’abord, nous parlons ici d’ajustements fondamentalement sains qui se produisent toujours au sein d’une économie et qui doivent se produire, à notre avis.
De plus, aux taux de rendement actuels, les revenus tirés des coupons de titres d’État offrent une protection importante contre les variation potentielles dans la courbe des taux. Le tableau ci-dessous présente les rendements estimés des investisseurs en obligations du Trésor sur un horizon de 12 mois dans divers scénarios. Bien qu’il soit facile de concevoir des pertes à la valeur du marché, les flux de trésorerie provenant des coupons les rendent probablement gérables pour la plupart des investisseurs dans un éventail de scénarios, d’après nous.
Potentiel de rendement de 4,50 % pour les obligations du Trésor à 10 ans selon divers scénarios de rendement
Taux de rendement futur supposé* | Fluctuation attendue des cours | Revenus des coupons | Rendement total |
---|---|---|---|
3,0 % | 11,78 % | 4,50 % | 16,28 % |
3,5 % | 7,85 % | 4,50 % | 12,35 % |
4,0 % | 3,93 % | 4,50 % | 8,43 % |
4,5 % | 0,00 % | 4,50 % | 4,50 % |
5,0 % | -3,93 % | 4,50 % | 0,57 % |
5,5 % | -7,85 % | 4,50 % | -3,35 % |
6,0 % | -11,78 % | 4,50 % | -7,28 % |
* Par exemple, si le taux de l’obligation tombe à 4 % dans 12 mois, nous nous attendons à ce que son cours augmente d’environ 3,9 %. Compte tenu de revenus tirés des coupons de 4,5 % reçus au cours de l’année, l’investisseur aurait un gain total de 8,4 % à la valeur de marché.
Sources : RBC Gestion de patrimoine, Bloomberg
Enfin, le monde est un endroit dangereux et incertain. Même si nous pouvons imaginer un scénario raisonnable de croissance stable et de légère hausse des taux d’intérêt, tous les investisseurs, à l’exception des plus jeunes, se souviennent des chocs ayant ébranlé le système, qu’il s’agisse de la COVID-19, des craintes à l’égard des banques régionales ou de la crise financière mondiale. Détenir un portefeuille diversifié d’actifs est une approche éprouvée pour composer avec le risque d’événements imprévus ou la prochaine apparence de récession ou de ralentissement de la croissance.
Notre message n’est pas d’avoir peur, mais de ne pas tomber dans l’euphorie et s’attendre à ce que le cadre de croissance robuste actuel se prolonge à l’infini et au-delà.
Ressources pour les recherches
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