Tarifs douaniers : Se préparer aux conséquences sur le marché

11 mars 2025 | Joseph Wu, CFA and Josh Nye


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Le conflit commercial qui a opposé les États-Unis et la Chine en 2018 et 2019 nous a rappelé à quel point l’incertitude tarifaire peut peser sur la confiance de même que sur les valorisations même si les effets sur les bénéfices s’avèrent modestes.

Tariffs: Bracing for market impact

La guerre tarifaire entre les États-Unis et la Chine a ébranlé les marchés boursiers en 2018 et, du même coup, donné des sueurs froides aux investisseurs. L’optimisme inspiré au départ par la Tax Cuts and Jobs Act adoptée par l’administration Trump au début de 2018, qui a fait passer le taux d’imposition fédéral supérieur des sociétés de 35 % à 21 %, a fait place au cours de l’année aux craintes de répercussions de la guerre tarifaire opposant les deux plus grandes économies du monde.

À la fin de 2018, les actions mondiales avaient reculé de 11,2 % en dollars américains, l’indice S&P 500 limitant ses pertes à 6,2 %, alors que l’indice des actions mondiales hors É.-U. encaissait une baisse de 16,4 %. La vigueur du billet vert et la plus grande sensibilité de l’économie aux flux commerciaux ont également pesé sur les marchés à l’extérieur des États-Unis.

Pour en savoir plus sur la dynamique économique liée aux tarifs et notre point de vue sur le conflit commercial entre les États-Unis et la Chine en 2018, veuillez consulter la première partie de notre analyse dans le rapport spécial de la série Perspectives mondiales intitulé « Flux liés à la politique tarifaire des États-Unis ».

Précisions que la correction boursière qui s’est produite en particulier durant la deuxième moitié de l’année n’était pas tant attribuable à la faiblesse des bénéfices des sociétés qu’à la détérioration de la confiance. Les ratios de valorisation se sont fortement comprimés en raison de l’incertitude croissante, et ce, même si les prévisions de bénéfices se sont plutôt bien maintenues.

Le durcissement de ton de la Réserve fédérale américaine (Fed) a exacerbé l’incertitude. La banque centrale a mis en œuvre sa politique de resserrement monétaire, relevant les taux d’intérêt à quatre reprises au cours de l’année. Le resserrement des conditions financières combiné à l’incertitude entourant la politique monétaire a attisé les craintes de ralentissement de l’économie aux États-Unis et à l’échelle mondiale, autrement résiliente jusque là. Cette situation a miné la confiance des investisseurs à l’égard des perspectives de bénéfices qui ont réagi en révisant à la baisse les ratios cours-bénéfice des principaux indices.

La volatilité est devenue une caractéristique marquante de l’année. Les marchés ont fluctué au gré des annonces et des renversements de tarifs.

La compression des ratios de valorisation explique en grande partie le repli du marché boursier
Variation des données prévisionnelles sur 12 mois en 2018
Évolution du ratio cours/bénéfice sur 12 mois et du bénéfice par action pour le S&P 500 et l'indice MSCI All Country World en 2018

Le graphique à barres montre l'évolution du ratio cours/bénéfice sur 12 mois et du bénéfice par action pour le S&P 500 et l'indice MSCI All Country World en 2018. Il montre que le bénéfice par action a augmenté d'environ 3 % et 17 %, mais que le ratio cours/bénéfice a chuté d'environ 20 %, ce qui a donné lieu à une année négative pour les deux indices en 2018.


Bénéfice par action

Ratio cours/bénéfice

Sources : RBC Gestion de patrimoine, Bloomberg.

Titres à revenu fixe : La délicate tâche des banques centrales

En ce qui concerne les politiques commerciales protectionnistes, l’une des grandes questions que se posent les investisseurs en titres à revenu fixe est de savoir comment les banques centrales réagiront. L’effet stagflationniste d’un choc tarifaire – qui pousse initialement l’inflation à la hausse et qui finit par faire stagner la croissance économique – représente un défi difficile à relever sur le plan de la politique monétaire. Les banques centrales ne peuvent pas utiliser les taux d’intérêt pour à la fois contenir l’inflation et soutenir l’activité économique, et la politique monétaire ne peut pas réellement régler les enjeux de productivité à long terme attribuables au relèvement des barrières commerciales.

Habituellement, en cas de choc ponctuel des prix, elles se concentreront sur le ralentissement de la croissance plutôt que sur les conséquences temporaires de l’inflation. En effet, dans son Livre vert de septembre 2018, la Fed laissait entendre qu’une politique misant sur la transparence semblerait bien adaptée à une hausse des tarifs. La Fed a continué de normaliser sa politique monétaire en 2018 vu l’intensification de la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine, mais a interrompu ses hausses de taux en 2019, car l’économie mondiale montrait des signes croissants de tensions. D’autres banques centrales, comme la Banque du Canada et la Banque d’Angleterre, ont également mis fin à leur cycle de relèvement des taux avant d’atteindre les taux d’intérêt neutres estimés. La Fed s’est retrouvée à baisser son taux directeur de 75 points de base au deuxième semestre de 2019 pour, selon les mots de son président Jerome Powell, « se prémunir contre les risques de baisse découlant de la faiblesse de la croissance mondiale et de l’incertitude entourant les politiques commerciales ».

Les banques centrales ont mis le cap sur des mesures d’assouplissement.
Pourcentage net des banques centrales qui relèvent leur taux
Pourcentage net des banques centrales qui relèvent leur taux d'intérêt de 2017 à 2019

Le graphique linéaire montre le pourcentage net de banques centrales ayant relevé leurs taux d'intérêt de 2017 à 2019 sur la base de 30 banques centrales. En 2018, davantage de banques centrales dans le monde ont relevé leurs taux d'intérêt qu'elles ne les ont réduits, mais comme les tensions commerciales ont de plus en plus freiné la croissance économique, davantage de banques centrales ont opté pour une réduction de leurs taux au cours du second semestre de 2019.

Ce graphique se fonde sur 30 banques centrales. Il représente le nombre de hausses de taux moins le nombre de baisses de taux; on considère qu’une banque centrale relève son taux si la variation sur trois mois du taux directeur est positive et qu’elle réduit son taux si la variation sur trois mois est négative.

Sources : RBC Gestion de patrimoine, Bloomberg.

Le cycle de politique monétaire de 2018 et 2019 a fait en sorte que les taux obligataires américains et mondiaux ont fluctué au même rythme que l’inflation et l’activité économique. Or, la tendance baissière, marquée par une diminution des taux obligataires et, par conséquent, une hausse des prix des obligations, était conditionnelle à ce que les attentes d’inflation demeurent bien ancrées et à ce que la politique monétaire puisse faire face à une hausse temporaire de l’inflation.

À l’heure actuelle, une telle situation n’est pas inévitable, à notre avis, car un nouveau choc tarifaire produirait à peu près le pire épisode d’inflation en 40 ans. Les entreprises pourraient refiler plus rapidement aux clients la hausse des coûts des intrants pour préserver leurs marges, et les attentes d’inflation des ménages pourraient ne pas être aussi bien ancrées qu’elles semblaient l’être en 2018-2019. Aux États-Unis, les attentes d’inflation à long terme (5 à 10 ans) sont déjà supérieures d’un point de pourcentage par rapport à ce qu’elles étaient au début de 2018, selon la plus récente enquête sur la consommation de l’Université du Michigan.

Jusqu’à présent, les banques centrales demeurent discrètes sur les façons dont elles pourraient réagir à un éventuel choc tarifaire. À tout le moins, le récent épisode d’inflation pourrait inciter les banques centrales à faire une pause pour prendre le temps d’évaluer la durée de tout choc tarifaire et l’évolution des attentes d’inflation.

Vulnérabilité des obligations de sociétés

Les écarts de taux constituent un autre élément clé des perspectives à l’égard des titres à revenu fixe. Comme en 2018, le rendement supplémentaire que les investisseurs obtiennent en contrepartie du risque de crédit qu’ils assument à l’heure actuelle est historiquement faible. À l’époque, les écarts de taux se resserraient à mesure que le marché continuait de se redresser après avoir encaissé le choc des prix du pétrole de 2015 à 2016, et les données économiques mondiales s’amélioraient de façon générale. La perspective de réductions d’impôt aux États-Unis alimentait aussi l’appétit pour les obligations de sociétés.

Toutefois, le ralentissement de la croissance mondiale et les difficultés sur le plan des marges ont commencé à avoir un effet sur les actifs risqués, entraînant un élargissement des écarts de taux des obligations de sociétés en 2018 au moment où les actions dégringolaient. Après avoir affiché pendant deux ans de solides rendements excédentaires par rapport aux obligations d’État, l’indice des obligations de sociétés a été à la traîne à partir de 2011 et enregistré son pire rendement global depuis 2008.

Les obligations de sociétés ont été à la traîne en raison de l’intensification de la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine en 2018
Indice Bloomberg Global Aggregate Corporate Bond
Performance annuelle des obligations d’entreprises mondiales de qualité « investment grade »

Le graphique à barres montre la performance annuelle totale et la performance relative des obligations d’entreprises mondiales de qualité « investment grade » par rapport aux obligations d’État mondiales. Les obligations d’entreprises mondiales de qualité « investment grade » ont sous-performé les obligations d’État mondiales en 2018, l’escalade du conflit commercial entre les États-Unis et la Chine ayant pesé sur la croissance économique.


Rendement excédentaire par rapport aux obligations d’État

Rendement total

Sources : RBC Gestion de patrimoine, Bloomberg.

Une différence importante par rapport à la guerre commerciale de 2018 et 2019 est que les taux obligataires sont nettement plus élevés aujourd’hui, de sorte que les investisseurs sont beaucoup mieux rémunérés pour ce qui est de la sécurité relative des titres à revenu fixe, en particulier des obligations d’État. Rappelons qu’environ 7 000 milliards de dollars de titres de créance affichaient un rendement négatif à l’échelle mondiale lorsque Donald Trump est entré en fonction pour la première fois. Aujourd’hui, les taux de rendement plus élevés permettent en partie de compenser le risque d’inflation en plus de procurer une plus grande protection contre toute nouvelle hausse des taux qui ferait baisser les prix des obligations si les banques centrales se retrouvaient limitées dans leur capacité à réduire les taux d’intérêt. Même dans le cas des obligations de sociétés, où l’élargissement des écarts de taux pourrait peser sur les rendements, il est peu probable à notre avis qu’elles enregistrent un rendement négatif (comme en 2018) en raison des taux globaux attrayants à l’heure actuelle.

Les taux plus élevés d’aujourd’hui font en sorte que la stabilité relative des titres à revenu fixe est plus intéressante
Taux de rendement de l’indice Bloomberg des obligations
Rendement à l’échéance des obligations d’État mondiales et des obligations d’entreprises de qualité investissement depuis 2005

Le graphique linéaire montre le rendement à l’échéance des obligations d’État mondiales et des obligations d’entreprises de qualité investissement depuis 2005. Il souligne une différence essentielle par rapport à la guerre commerciale de 2018-2019, dans la mesure où les rendements sont nettement plus élevés aujourd’hui, ce qui signifie que les investisseurs sont bien mieux rémunérés par la sécurité relative des titres à revenu fixe aujourd’hui, en particulier des obligations d’État.


Global Treasury Aggregate

Global Corporate Aggregate

Sources : RBC Gestion de patrimoine, Bloomberg; données jusqu’au 21 février 2025.

Turbulences en vue

Le programme commercial de l’administration Trump commence à prendre forme, mais on ignore encore à quoi il ressemblera. Comme nous l’avons mentionné dans la première partie de la série du présent rapport, la politique commerciale devrait demeurer une source persistante de risque de détérioration des perspectives économiques et pourrait avoir de graves répercussions sur les fondamentaux des entreprises.

Pour l’instant, les marchés financiers ne semblent pas vraiment en ressentir les effets. Cela peut s’expliquer par la « fatigue » des investisseurs à l’égard des tarifs, surtout en raison du moment où cela se produit, qu’on ne peut pas tout simplement prendre pour de l’indifférence. De fait, les participants au marché se préoccupent plus de leur mise en œuvre que du flot régulier de menaces, mais font peut-être preuve d’une certaine complaisance.

Puisque les actions mondiales se négocient à 18,5 fois les prévisions de bénéfices sur 12 mois, soit nettement au-dessus de leur moyenne à long terme d’environ 15 fois, et que le rendement offert par les obligations de sociétés en contrepartie des risques de crédit s’approche de niveaux historiquement bas, les perspectives encourageantes pour l’économie et les bénéfices des sociétés devraient à notre avis favoriser les actifs risqués (voir la figure).

Les actions mondiales se négocient au-dessus de leur moyenne à long terme
Indice MSCI Monde tous pays
Ratio cours/bénéfice sur 12 mois de l'indice MSCI All Country World

Le graphique en courbes montre le ratio cours/bénéfice sur 12 mois de l'indice MSCI All Country World. Les actions mondiales se négocient actuellement à un niveau élevé d'environ 18,5 fois les estimations de bénéfices sur 12 mois, bien au-dessus de la moyenne à long terme d'environ 15 fois, ce qui suggère que les investisseurs anticipent actuellement des perspectives relativement optimistes pour l'économie et les bénéfices des entreprises.


Ratio C/B prévisionnel

Moyenne à long terme

Écart type de ±

Sources : RBC Gestion de patrimoine, Bloomberg; données jusqu’au 21 février 2025.

Les nouvelles économiques ou politiques font habituellement bouger les marchés dans la mesure de l’incidence qu’elles pourraient avoir sur les bénéfices. Il reste à voir si l’incertitude prolongée entourant la politique commerciale finira par ébranler la confiance actuelle, mais la plupart des analystes s’entendraient pour dire que les marchés n’aiment pas l’incertitude, en particulier lorsqu’elle est prolongée. Dans cette optique, nous croyons que la dynamique des marchés observée lors du conflit commercial entre les États-Unis et la Chine en 2018 et 2019 peut aider les investisseurs à prévoir ce qui pourrait se passer au cours des prochains trimestres.

Même si les barrières commerciales n’ont pas nécessairement été un frein au marché boursier à long terme, car les sociétés sont depuis longtemps reconnues pour être capables de s’adapter, elles ont tendance à entraîner une croissance économique moins optimale et une hausse des coûts, et à engendrer des difficultés à court terme pour ce qui est des ventes.

Jusqu’ici, les investisseurs ont largement fait fi des turbulences entourant les échanges commerciaux, mais les valorisations élevées nous portent à croire que les marchés sont probablement plus vulnérables à la volatilité si le pire scénario devait se concrétiser en matière de tarifs. L’incertitude entourant les droits de douane, à l’instar de l’économie, peut se répercuter sur les marchés en sapant d’abord la confiance, ce qui pousse les ratios de valorisation à la baisse même si l’incidence sur les bénéfices se révèle relativement gérable.

Conséquences pour les placements

Pour les portefeuilles d’actions, nous croyons qu’il est toujours préférable de conserver ses placements tout en faisant preuve de prudence et de vigilance. Comme l’incertitude commerciale toujours élevée est susceptible de peser sur l’économie et les paramètres fondamentaux des sociétés, nous estimons qu’une approche axée sur les titres de qualité supérieure est judicieuse. Du côté des actions, cela peut se traduire par une préférence pour les sociétés qui affichent des flux de trésorerie plus constants, un pouvoir supérieur de fixation des prix, un endettement plus faible ou des dividendes en croissance – des caractéristiques de qualité et défensives qui peuvent aider à renforcer la résilience du portefeuille si les conditions économiques commencent à être inférieures aux attentes du marché.

Dans le portefeuille de titres à revenu fixe, nous croyons que les obligations de grande qualité sont une source intéressante de stabilité. Les obligations à court et à moyen terme offrent des rendements plutôt attrayants de façon à procurer un revenu stable et un potentiel d’appréciation du capital en cas de croissance économique décevante. Les investisseurs en titres à revenu fixe qui achètent des obligations de sociétés de grande qualité pour les conserver à plus long terme peuvent généralement faire abstraction des épisodes d’élargissement des écarts de taux. Toutefois, les investisseurs tactiques voudront peut-être examiner de plus près leurs placements dans les titres de sociétés.


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