Compromis liés aux droits de douane des États-Unis

26 février 2025 | Joseph Wu, CFA and Josh Nye


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Comme la menace des droits de douane des États-Unis demeure un sujet récurrent dans les médias, nous examinons les sommets et les creux potentiels ainsi que leurs effets.

Compromis liés aux droits de douane des États-Unis

Les taxes sur les importations (c’est-à-dire les tarifs douaniers) peuvent générer des revenus, protéger les industries nationales ou procurer un levier de négociation commerciale. Même si les effets économiques immédiats peuvent être stimulants, les conséquences à long terme peuvent se révéler moins favorables.

À court terme, les tarifs douaniers peuvent stimuler l’activité économique, les entreprises et les consommateurs devançant leurs achats en prévision d’une hausse des coûts. Toutefois, ce tourbillon fait souvent place à une « bulle d’air », car la demande grimpe à peine, tandis que le bond des prix et les mesures de représailles refroidissent les perspectives d’exportation. Les investissements des entreprises, en particulier dans le secteur manufacturier, ralentissent souvent en raison de l’incertitude.

Durant la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine précédemment mentionnée, l’indice des directeurs des achats du secteur manufacturier mondial est passé en territoire de contraction et les dépenses en immobilisations des entreprises ont considérablement ralenti. Même si le secteur des services a mieux résisté aux perturbations, la morosité de la consommation et des tendances d’investissement a finalement plombé l’ensemble de l’économie.

Les dissensions commerciales étouffent la croissance économique
Fluctuations de l’indice mondial des directeurs d’achats composé de JP Morgan

Le graphique linéaire montre les fluctuations de l’indice mondial des directeurs d’achats composé de JP Morgan, de l’indice mondial des directeurs d’achats du secteur manufacturier de JP Morgan et de l’indice mondial des directeurs d’achats du secteur des services de JP Morgan du 31 janvier 2018 au 31 décembre 2019. Les trois indices ont affiché une tendance généralement à la baisse au cours de la période indiquée. L’indice des directeurs des achats composé est passé d’environ 55 à 52; l’indice des directeurs des achats du secteur manufacturier est passé d’environ 54 à 50; et l’indice des directeurs des achats du secteur des services est passé d’environ 54 à 52.


Indice mondial des directeurs d’achats du secteur manufacturier de JP Morgan


Indice mondial des directeurs d’achats composé de JP Morgan

Indice mondial des directeurs d’achats du secteur des services de JPMorgan

Remarque : Le seuil des 50 points de l’indice PMI sépare l’expansion de la contraction.

Sources : RBC Gestion de patrimoine, Bloomberg.

L’inflation pourrait suivre une tendance en « dents de scie » semblable

L’incidence inflationniste des tarifs douaniers peut aussi suivre une séquence en « dents de scie ». Dans un premier temps, les tarifs douaniers font grimper les prix, car la hausse des coûts des importations se répercute sur les prix à la consommation. Les trois dernières années indiquent que les entreprises tenteront probablement de répercuter ces coûts sur leurs clients.

Tout repose en grande partie sur la portée des mesures tarifaires en général, qui peuvent entraîner des hausses de prix plus marquées, tandis que des tarifs plus étroitement définis auraient probablement une incidence plus modeste. De plus, le raffermissement de la monnaie nationale pour le pays qui impose des tarifs douaniers peut alléger le fardeau inflationniste en réduisant les coûts d’importation.

Même si un long cycle de tarifs douaniers de part et d’autre prolonge l’incertitude et les pressions sur les coûts, étant donné que la hausse des prix gruge le pouvoir d’achat et freine la demande, l’élan inflationniste tend à s’atténuer.

Dans la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine, l’inflation s’est accélérée au début, mais a diminué au fil du temps, car les dépenses des consommateurs et des entreprises ont fléchi sous la pression des incertitudes commerciales. Par ailleurs, une appréciation de 9 % du dollar américain pondéré en fonction des échanges et une dépréciation de 13 % du yuan chinois ont contribué à estomper les pressions à la hausse sur les prix.

L’incidence de la guerre commerciale du premier mandat de Trump sur l’inflation a été de courte durée
L’incidence de la guerre commerciale du premier mandat de Trump sur l’inflation

Le graphique linéaire montre l’inflation des prix à la consommation exprimée sous forme de variation mensuelle sur 12 mois de l’indice des prix à la consommation aux États-Unis et de l’indice des prix à la consommation des sept principaux pays de l’OCDE du 31 janvier 2018 au 31 décembre 2019. L’inflation aux États-Unis s’est établie à 2,1 % en janvier 2018, a augmenté à 2,9 % en juillet 2018, a reculé à 1,5 % en février 2019 et a affiché une tendance inégale à la hausse à 2,3 % en décembre 2019. L’inflation dans les sept principaux pays de l’OCDE s’est établie à 1,8 % en janvier 2018, a grimpé à 2,5 % en juillet 2018, a reculé à 1,3 % en janvier 2019, puis a affiché une tendance inégale à la hausse à 1,8 % en décembre 2019.


IPC des États-Unis (sur 12 mois)

IPC des sept principaux pays de l’OCDE (sur 12 mois)

La mesure de l’inflation de l’OCDE comprend les États-Unis, le Canada, la France, l’Allemagne, l’Italie, le Royaume-Uni et le Japon.

Sources : RBC Gestion de patrimoine, Bloomberg.

Cette fois-ci, c’est différent, peut-être

La guerre commerciale a ciblé principalement la Chine, ce qui a permis aux entreprises de rediriger les flux commerciaux et d’atténuer les répercussions économiques générales. En effet, même si les tarifs douaniers sur les importations chinoises, qui sont demeurés en place sous l’administration Biden, ont contribué à rétrécir le déficit commercial des États-Unis avec la Chine, le déficit commercial global des États-Unis a peu varié par rapport à 2016 (en % du PIB), car les importateurs se sont tournés vers des produits provenant d’autres régions de l’Asie du Sud-Est et de l’Amérique du Nord.

L’effet du rétrécissement du déficit commercial des États-Unis avec la Chine a été plus que compensé par celui de l’élargissement des déficits avec d’autres pays
Variation du déficit commercial aux États-Unis (en % du PIB, quatre derniers trimestres par rapport à 2016)
Variation du déficit commercial aux États-Unis (en % du PIB, quatre derniers trimestres par rapport à 2016)

Le graphique à barres montre le déficit commercial des États-Unis en pourcentage du PIB pour les quatre derniers trimestres par rapport à 2016. Il montre que l’effet du rétrécissement du déficit commercial des États-Unis avec la Chine a été plus que compensé par celui de l’élargissement des déficits avec d’autres pays. Total : -0,01 % Vietnam 0,24 % Mexique 0,24 % Canada 0,17 % Taïwan 0,16 % Corée du Sud 0,07 % Hong Kong 0,07 % Autres 0,04 % UE 0 % Japon -0,13 % Chine -0,86 %.

Sources : RBC Gestion de patrimoine, U.S. Bureau of Economic Analysis; données jusqu’au troisième trimestre de 2024

Toutefois, la politique commerciale du deuxième mandat de Donald Trump menace de placer un plus grand nombre de pays dans la ligne de mire des tarifs douaniers et de rendre plus difficile le détournement des échanges. En 2018, le tarif moyen des importations aux États-Unis est passé de 1,5 % à environ 3 %.Si les plus récentes propositions politiques sont entièrement adoptées, Services économiques RBC estime que le taux tarifaire moyen aux États-Unis pourrait bondir à un niveau à deux chiffres inégalé depuis les années 1940, les répercussions économiques éclipsant celles du conflit commercial de 2018.

Jusqu’ici, il semble que la stratégie tarifaire de Trump n’ait pas beaucoup changé. L’administration n’a pas imposé de tarifs douaniers dès le premier jour, préférant qu’un examen des pratiques commerciales étrangères soit effectué le 1er avril. Les tarifs douaniers réciproques et les plans de réimposition de redevances sur l’acier et l’aluminium n’entrent pas en vigueur immédiatement, ce qui laisse de la place à la négociation avec les partenaires commerciaux. Le Canada, le Mexique et la Colombie ont été en mesure de reporter ou d’éviter les tarifs douaniers en accédant aux demandes des États-Unis. À ce stade-ci, l’administration n’a donné suite qu’à l’imposition de tarifs douaniers à la Chine, à un taux inférieur à celui qui avait été précédemment mentionné.

L’importance de la durée

En plus de la portée et de l’ampleur des tarifs douaniers, la durée de la mise en place de ces mesures est essentielle à leur incidence sur l’économie et l’inflation, selon nous. Les barrières commerciales élevées pourraient être une caractéristique durable de la relation entre les États-Unis et la Chine, mais les tarifs douaniers sur d’autres partenaires commerciaux pourraient continuer d’être de nature plus transactionnelle, car Trump cherche à tirer parti du pouvoir d’achat substantiel des États-Unis pour atteindre des objectifs commerciaux et non commerciaux.

Les « tarifs douaniers réciproques » cherchent à uniformiser les règles du jeu avec les pays qui imposent déjà leurs propres mesures protectionnistes aux États-Unis. S’ils finissent par encourager les pays à se présenter à la table de négociation – ce qui est l’objectif du président selon nous – les pays pourraientultimement soutenir le commerce mondial en abaissant les barrières commerciales. Toutefois, l’élimination de ces barrières et l’ouverture des industries nationales à une plus grande concurrence devraient être un processus complexe auquel participeront de nombreuses parties prenantes et de puissants groupes de pression. Quant à savoir si la réciprocité des tarifs douaniers finira par rétrécir le déficit commercial des États-Unis, c’est une autre histoire.

Les tarifs douaniers sur l’acier cherchent à protéger une industrie considérée comme essentielle à la sécurité économique et nationale, mais les partenaires commerciaux ont été en mesure de négocier des exemptions dans le passé. Les États-Unis dépendent fortement des importations d’aluminium, en particulier de celles en provenance du Canada, ce qui nous donne à penser que ces tarifs pourraient constituer une monnaie d’échange pour des négociations bilatérales plus larges, car Trump a un certain nombre d’irritants commerciaux dans son collimateur. Toujours du côté du Canada, les problèmes de longue date comme ceux liés aux quotas laitiers et au bois d’œuvre, ainsi que les plaintes plus récentes visant l’accès aux services bancaires et la fiscalité extraterritoriale pourraient faire du pays une cible pour les tarifs douaniers, mais ils pourraient aussi laisser beaucoup de place à la négociation.

Il existe un risque que les tarifs douaniers soient imposés plus longtemps s’ils sont perçus comme une importante source de revenus, ce qui pourrait soutenir des baisses d’impôt aux États-Unis ou d’autres objectifs budgétaires, plutôt que comme un outil de négociation. Pour chaque point de pourcentage d’augmentation du taux tarifaire moyen des États-Unis, les revenus douaniers annuels grimpent de 32 G$, soit environ 0,1 % du PIB (le déficit budgétaire actuel des États-Unis équivaut à environ 6,5 % du PIB). Toutefois, cette hausse pourrait être freinée par la substitution des importations et, son effet, être compensé par la baisse des revenus ailleurs en raison de la morosité de l’économie. Selon la doctrine commerciale peu orthodoxe de Trump, les tarifs douaniers sont payés par des pays étrangers, mais l’expérience de 2018-2019 montre que les coûts tendent à se répercuter sur les consommateurs américains.

Points de départ économiques

L’économie mondiale est entrée dans la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine en 2018-2019 sur des bases relativement plus stables, la croissance du PIB mondial réel s’établissant à 3,8 % sur 12 mois en 2017 et l’inflation à la consommation des sept principales économies développées s’établissant à 1,8 %. La faible inflation et la forte croissance ont donné à l’économie mondiale une certaine marge de manœuvre pour absorber les chocs économiques. Aujourd’hui, selon les prévisions consensuelles de Bloomberg, la croissance du PIB mondial devrait ralentir à 3,0 % cette année (contre 3,2 % en 2024) et l’inflation moyenne à la consommation des grandes économies développées se rapproche de 3,0 %, ce qui est supérieur à la cible habituelle de 2 % des grandes banques centrales. Contrairement à 2018, l’économie d’aujourd’hui dispose d’une marge de manœuvre moindre pour absorber les chocs.

La vigueur avec laquelle l’administration américaine poursuivra son programme commercial demeure incertaine. Toutefois, nous croyons que les tarifs douaniers auraient presque certainement pour effet de réduire la demande et de peser sur la croissance aux États-Unis. Pour nous, des tarifs sélectifs – plutôt qu’universels – demeurent un scénario de base raisonnable compte tenu des contraintes du monde réel. L’imposition de tarifs douaniers sur les produits énergétiques et alimentaires politiquement sensibles irait à l’encontre de l’objectif de s’attaquer aux problèmes d’abordabilité des ménages. Le manque de clarté et de prévisibilité signifie qu’actuellement, les entreprises et les investisseurs doivent composer avec l’inconfort causé par un large éventail de résultats possibles.

RBC Gestion mondiale d’actifs prévient que toute estimation laisse inévitablement une grande place à l’erreur. De façon plus générale, toutefois, nous croyons que les estimations ci-dessous corroborent l’idée que tant les pays qui imposent les tarifs douaniers que ceux qui les subissent sont perdants dans ces situations­. En plus des effets inflationnistes potentiels à court terme, les tarifs sont souvent accompagnés de mesures de représailles.

Conséquences économiques des tarifs douaniers américains
Estimation de l’effet cumulatif maximal sur la production économique après deux ans, en supposant des droits de douane réciproques
Scénario Effet sur la production économique
Monde Canada É.-U. Mexique Chine Japon Zone euro R.-U.
Plan tarifaire initial :
60 % Chine,
10 % reste du monde
(Probabilité : 10 %)
-1,0 % -1,9 % -1,2 % -1,5 % -1,4 % -0,6 % -0,9 % -0,6 %
Droits de douane visant l’Amérique du Nord :
25 % Canada, 25 % Mexique, 10 % Chine
(Probabilité : 10 %)
-0,8 % -4,5 % -1,5 % -4,0 % -0,6 % -0,2 % -0,4 % -0,2 %
Tarifs douaniers substantiels, mais temporaires :
L’un des scénarios ci-dessus, mais retrait des tarifs douaniers après plusieurs mois
(Probabilité : 25 %)
-0,3 % -1,0 % -0,4 % -0,9 % -0,3 % -0,1 % -0,2 % -0,1 %
Tarifs partiels :
Tarifs douaniers réduits sur les secteurs et pays ciblés
(Probabilité : 45 %)
-0,2 % -0,3 % -0,2 % -0,2 % -0,3 % -0,1 % -0,2 % -0,1 %
Aucun nouveau droit de douane important
(Probabilité : 10 %)
0 % pour l’ensemble

Sources : Oxford Economics, RBC Gestion mondiale d’actifs; données en date du 10 février 2025.

À notre avis, la politique commerciale devrait demeurer une source persistante de risque de détérioration des perspectives économiques. Même en l’absence de nouveaux tarifs douaniers, la simple imprévisibilité de la suite de la politique commerciale des États-Unis peut à elle seule nuire à l’activité économique au moyen des canaux de « confiance ». L’incertitude prolongée entourant la politique pourrait peser considérablement sur la confiance du secteur privé, ce qui inciterait les entreprises à reporter ou à réduire leurs investissements et les ménages à accroître leur épargne préventive en prévision de conditions économiques plus turbulentes. Cet essoufflement de la demande attribuable à la confiance pourrait ralentir la croissance même avant que les effets directs des tarifs douaniers ne se fassent sentir.