Sphères d’influence : La principale raison pour laquelle les risques d’ordre géopolitique se répercutent sur les marchés

16 février 2022 | Kelly Bogdanova


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Nous discutons des tensions actuelles entre la Russie et l’Ukraine qui se répercutent au-delà de ces deux pays et des vulnérabilités du marché boursier lors de précédents épisodes d’agitation géopolitique.

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Dans la presse occidentale, toute l’actualité géopolitique s’est concentrée sur une possible invasion imminente de l’Ukraine par la Russie. Les médias n’ont fait que répéter et amplifier les déclarations et avertissements des dirigeants américains et des autres pays, en fixant puis repoussant sans cesse la date de la supposée invasion.

Depuis deux mois, ces nouvelles provoquent des remous sur les marchés de l’énergie, où les prix du pétrole brut et du gaz naturel européen se sont envolés. Les marchés financiers ont commencé à s’en ressentir. En particulier, les actions ont subi une hausse de la volatilité alimentée par les manchettes consacrées à la guerre.

Nous pensons que les problèmes vont bien au-delà du conflit entre la Russie et l’Ukraine, qu’ils sont plus profonds et qu’ils remontent à plusieurs décennies.

Selon notre point de vue, le conflit se joue entre les États-Unis et l’OTAN d’un côté, et la Russie de l’autre. Ce qui est en jeu, ce sont les sphères d’influence entre les grandes puissances militaires, l’élargissement de l’OTAN à l’est et son implication dans l’ancien bloc soviétique depuis la fin de la Guerre froide, la course aux missiles hypersoniques, l’emplacement des armes nucléaires à portée intermédiaire et à courte portée, la concurrence dans le secteur de l’énergie, et plus encore. Nous pensons qu’à l’issue du litige, de nouvelles dispositions de sécurité européenne pourraient être mises en place pour les décennies à venir.

Certes, il existe des risques d’affrontement militaire entre la Russie et l’Ukraine. Nous présentons ci-après le scénario le plus susceptible de se produire, dans l’est de l’Ukraine.

Indépendamment des tensions en Ukraine, la Russie se concentre sur les aspects les plus importants de son conflit avec les États-Unis et l’OTAN au sujet de la sécurité en Europe, comme en témoignent les propositions de sécurité officielles que Moscou a présentées à ces deux parties en décembre 2021 et l’intense pression diplomatique exercée depuis lors.

Des initiatives et des pourparlers diplomatiques sont en cours entre les États-Unis, l’OTAN et la Russie, et les dirigeants du Royaume-Uni, de la France, de l’Allemagne, de la Hongrie et de la Turquie se sont joints aux échanges. Nous ne voyons pas encore d’avancées dignes de mention.

Le rouble russe est devenu un indicateur des risques géopolitiques actuels
Le rouble s’est récemment affaibli. Il se trouve à l’extrémité supérieure de la fourchette établie depuis la fin de 2014, date à laquelle les tensions ont commencé à s’intensifier avec les États-Unis et des sanctions ont été imposées avec plus de force.
Taux de change entre le dollar américain et le rouble russe (USD/RUB) de 2010 à aujourd’hui.

Le graphique montre l’évolution du taux de change entre le dollar américain et le rouble russe (USD/RUB) de 2010 à aujourd’hui. À partir de 2010 jusqu’à tard dans l’année 2014, le rouble russe s’est négocié dans une fourchette d’environ 27 à 34 par rapport au dollar américain, selon le taux de change USD/RUB (plus le niveau est bas, plus le rouble est fort ; plus le niveau est élevé, plus le rouble est faible). Toutefois, lorsque les tensions géopolitiques ont commencé à s’intensifier entre les États-Unis et la Russie à propos de l’Ukraine, le rouble s’est considérablement déprécié. À compter de la fin de 2014, il s’est négocié dans une fourchette large de 50 à près de 83. Depuis que la situation a commencé à se détériorer, il se situe dans la partie supérieure de cette fourchette, à près de 77.

Nota: Plus le niveau est élevé, plus le rouble est faible.

Sources : RBC Gestion de patrimoine, Bloomberg ; données prises en compte jusqu’au 14 février 2022

La Russie a récemment déclaré que ses principales exigences de garanties de sécurité restaient sans réponse : non-élargissement de l’OTAN, non-déploiement de systèmes de frappe près des frontières de la Russie, et retour à la situation de 1997 en matière de déploiement de forces étrangères, d’équipement et d’armement dans les territoires qui n’appartenaient pas à l’OTAN cette année-là.

Bien que de brefs échanges soient encore attendus – la Russie prépare un autre document diplomatique substantiel à l’intention des États-Unis et de l’OTAN – le temps presse sur le plan diplomatique.

Les marchés ont tendance à se ressaisir rapidement pendant les périodes de conflit ou de guerre

Avant d’examiner l’un des risques militaires spécifiques en Ukraine dans le contexte de cette situation géopolitique complexe accompagnée de risques de sanction, il est important de se pencher sur les rendements réalisés lors des précédentes guerres et confrontations à enjeux élevés.

Par le passé, les affrontements militaires ont eu un effet relativement bref et limité sur les marchés boursiers, y compris à l’époque où les États-Unis et l’Union soviétique étaient engagés dans la crise des missiles de Cuba.

L’indice S&P 500 a fléchi de 6,2 % en moyenne lors des 18 principaux conflits militaires ou heurts survenus depuis la Deuxième Guerre mondiale que nous avons évalués. Ce pourcentage correspond à peu près au recul que le marché a subi lorsque le président américain John Kennedy et le premier ministre soviétique Nikita Khrouchtchev étaient au bord de la guerre.

Sans être négligeable, cette baisse reste dans les limites du repli typique et modéré observé dans divers scénarios survenus sur les marchés, y compris en l’absence de risque militaire.

Notre étude des précédents conflits géopolitiques indique que la réaction du marché ne dure que 30 jours en moyenne. Après ce laps de temps, le marché revient généralement à son point de départ. Ce rebond a été observé lors d’événements ayant duré plus longtemps, parfois beaucoup, beaucoup plus longtemps.

Réactions de l’indice S&P 500 à divers conflits et actes de guerre depuis la Deuxième Guerre mondiale

Source : RBC gestion de patrimoine, RBC Gestion mondiale d’actifs, Wikipédia, archives de la Sécurité nationale de l’Université George-Washington, institut naval des États-Unis ; les données tiennent compte dans la mesure du possible de l’incidence de la situation qui avait cours avant l’événement.

Dans certains cas, les actions se sont dépréciées alors que les tensions s’intensifiaient pendant les prémices d’un conflit géopolitique, et dans d’autres cas, elles ont commencé à s’affaiblir au déclenchement d’un affrontement militaire. Dans la plupart des scénarios, les marchés se sont ressaisis peu après le début des hostilités.

Cependant, le tableau ci-dessus montre quatre événements qui ont provoqué un choc plus difficile à absorber, soit un plongeon du S&P 500 de l’ordre de 10 % à 15 %. Parmi ces quatre événements, mis en évidence en orange, deux ont eu lieu au Moyen-Orient : d’abord en 1973, au moment de la guerre du Kippour et de l’embargo sur le pétrole décrété par l’Arabie saoudite, puis en 1990 lorsque l’Irak a envahi le Koweït et saisi ses champs pétrolifères.

Ce qui ressort de ces deux événements, et qui fait écho aux risques géopolitiques actuels, est le fait que ces conflits se sont répercutés sur les marchés mondiaux de l’énergie. À ce stade, les risques géopolitiques entourant le conflit entre les États-Unis, l’OTAN et la Russie ne compromettent pas directement l’approvisionnement en pétrole et en gaz naturel (à moins que l’Occident n’impose des sanctions visant le pétrole et le gaz russes, ou que la Russie ne restreigne l’offre en guise de représailles). Les prix du gaz naturel européen pourraient cependant subir de nouvelles hausses si l’Occident mettait à exécution sa menace d’empêcher le gazoduc Nord Stream 2 d’entrer en exploitation dans l’éventualité d’un conflit direct entre la Russie et l’Ukraine.

De manière générale, quand il est question de guerres et de graves conflits géopolitiques, nous conseillons depuis longtemps aux investisseurs de présumer que ces événements provoqueront un repli temporaire des actions de 5 % à 10 % ou, dans de rares cas, une correction plus durable et de plus grande ampleur, en particulier lorsque les marchés de l’énergie sont frappés au point de mettre en péril la croissance économique à moyen et à long terme.

Le Donbass : une poudrière potentielle

Actuellement, la zone de tension la plus importante dans ce conflit élargi entre les États-Unis, l’OTAN et la Russie est la région du Donbass, dans l’est de l’Ukraine, où les forces armées ukrainiennes et les forces militaires des Républiques populaires autoproclamées de Lougansk et de Donetsk (la RPL et la RPD) s’affrontent depuis près de huit longues et douloureuses années. Si les combats s’intensifiaient dans le Donbass (ou survenaient ailleurs en Ukraine), nous pensons que les marchés boursiers pourraient subir un repli au moins à court terme.

Le Donbass est la source d’un conflit dans lequel les États-Unis, les autres pays de l’OTAN, la Russie et le Bélarus ont des intérêts depuis toujours.

Le conflit intérieur a commencé peu après les manifestations de l’Euromaïdan (le Maïdan) et les événements connexes de février 2014 qui ont conduit à l’éviction du président et de l’administration de l’Ukraine, qui étaient favorables à Moscou. Les Ukrainiens russophones des villes de Lougansk et de Donetsk, dans le Donbass, et ceux des régions environnantes se sont opposés au changement brutal de gouvernement et à la nouvelle direction du pays. À la suite de référendums d’autodétermination, ils ont déclaré leur indépendance en mai 2014. Leur indépendance n’a été reconnue ni par l’Ukraine, ni par les nations occidentales, ni par la Russie, ni par le Bélarus. Néanmoins, il existe un processus récemment mis en place au terme duquel la Russie pourrait reconnaître officiellement ces républiques.

L’une des parties du conflit (qui comprend tous les dirigeants ukrainiens en place depuis le soulèvement, ainsi que les responsables politiques occidentaux) considère la révolte du Maïdan comme une « révolution de la dignité » et un virage important de l’Ukraine vers l’indépendance, la démocratie, la liberté et les valeurs libérales et culturelles de l’Occident, avec la possibilité d’une meilleure intégration à l’UE et à l’OTAN au fil de la mise en œuvre de plusieurs réformes. Ce camp a promu et encouragé le nationalisme ukrainien à la suite des événements du Maïdan.

L’autre camp (qui comprend la RPL, la RPD et la Russie) estime que la révolte du Maïdan est un coup d’État soutenu par l’Occident afin de transformer l’Ukraine en un État contrôlé de l’extérieur, perturber les relations fraternelles entre la Russie et l’Ukraine, supprimer l’importante population russophone de l’Ukraine et bouleverser la culture historique ukrainienne. Selon cette théorie, l’objectif ultime serait de déstabiliser la sécurité nationale de la Russie en raison du rôle joué par l’OTAN et certains de ses États membres dans l’Ukraine post-Maïdan.

Les combats dans le Donbass ont parfois été violents, surtout en 2014 et au début de 2015. À d’autres moments, ils ont été moins intenses, mais accompagnés de bombardements de villages et d’attaques de drones et de tireurs d’élite. Il y a aussi eu quelques cessez-le-feu, quoique peu efficaces. L’ONU estime que près de 13 300 personnes ont péri au cours des affrontements depuis le début des hostilités en avril 2014, dont au moins 25 % de civils, y compris des enfants et des personnes âgées. Un cessez-le-feu existe, théoriquement, mais il est régulièrement enfreint, et la situation est extrêmement tendue en ce moment.

En février 2015, l’Ukraine, la RPL et la RPD, la Russie, et l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) ont signé conjointement les accords de Minsk, qui définissent un processus par étapes visant à mettre fin aux combats et à rétablir les républiques non reconnues au sein de l’Ukraine en leur octroyant un statut spécial. Or, aucune de ces étapes n’a été mise en œuvre jusqu’à présent. La probabilité que les accords de Minsk restent en vigueur a diminué au cours des derniers mois. Aucun progrès n’a été réalisé lors des dernières négociations des « Quatre de Normandie » (France, Allemagne, Russie et Ukraine) le 10 février.

Environ 130 000 soldats ukrainiens, y compris des formations prêtes au combat dotées d’artillerie lourde et de chars (avec des bataillons nationalistes dans les rangs), sont actuellement déployés près de la ligne de contact (ligne de démarcation) qui sépare les zones du Donbass faisant partie de l’Ukraine et celles qui sont aux mains de la RPL et de la RPD. Des armes continuent d’affluer de l’OTAN vers les forces armées ukrainiennes. Selon les systèmes de surveillance des vols, au moins 43 avions-cargos transportant des armes et d’autres équipements militaires ont atterri en Ukraine entre le 15 janvier et le 13 février.

De l’autre côté de la ligne de contact, les Forces armées du Donbass (armée conjointe de la RPL et de la RPD) disposent désormais de 150 000 soldats. Cette ligne de contact se trouve à seulement 100 kilomètres à l’ouest de la frontière entre l’Ukraine et la Russie. Les troupes et les équipements lourds russes sont disposés sur le territoire russe, à environ 200-400 kilomètres à l’est de cette frontière. (En outre, la Russie mène d’importants exercices militaires dans d’autres parties de son territoire, soit dans la mer Noire et la mer d’Azov, ainsi qu’au Bélarus avec les forces armées bélarussiennes. Les exercices au Bélarus doivent prendre fin le 20 février, et certaines de ces troupes ont déjà entamé leur processus de retour vers leur lieu de déploiement permanent en Russie selon le calendrier prévu.)

L’un des deux dirigeants de la RPL et de la RPD a récemment déclaré à Reuters que si les principaux centres de population de la RPL et la RPD, y compris les villes de Lugansk et de Donetsk, se voyaient menacés par une offensive de l’armée ukrainienne ou de groupes armés nationalistes, il pourrait demander un soutien militaire à la Russie. La RPL et la RPD comptent environ 3,66 millions d’habitants, dont 860 000 sont devenus des citoyens russes en avril 2019, date à laquelle une procédure spéciale simplifiée a été mise en place, et d’autres sont en attente.

L’Occident promet des sanctions punitives, mais envoie des messages contradictoires

Les dirigeants des États-Unis, d’autres pays occidentaux et de structures de l’UE ont souligné à plusieurs reprises que toute action de l’armée russe dans le Donbass ou ailleurs en Ukraine, même limitée, serait considérée comme une « invasion » de l’Ukraine et déclencherait des sanctions économiques sévères contre la Russie.

Jusqu’à présent, les centaines de sanctions – certaines petites, d’autres plus lourdes – imposées par les États-Unis à l’État russe, à ses entreprises et à certains de ses citoyens depuis 2014, ainsi que les sanctions connexes mises en place par l’UE et le Royaume-Uni, ont freiné l’économie russe et affaibli le rouble de manière notable. Toutefois, leur impact négatif a généralement été limité, car pendant cette période, la Russie a renforcé son autosuffisance et développé certains secteurs comme l’agriculture.

Dans l’éventualité d’une aggravation de la situation en Ukraine sur le plan militaire et d’une intervention de la Russie, les sénateurs américains promettent une réponse beaucoup plus musclée, soit une législation emphatiquement décrite comme « la mère de toutes les sanctions » ou « les sanctions de l’enfer », dans le but d’isoler et de paralyser l’économie russe.

Cette seule menace de sanctions, conjuguée à l’intensification des tensions dans le Donbass, a ébranlé le marché boursier russe. Son principal indice, composé en grande partie de sociétés de ressources naturelles et de banques, a plongé de 25 % entre son sommet d’octobre 2021 et son creux de janvier 2022, malgré le fort rebond des prix du pétrole brut et du gaz naturel au cours de la même période.

Les actions russes subissent une forte correction depuis l’intensification des tensions géopolitiques
Rendement du S&P 500 et du MOEX Russie depuis 2019 (%)
Rendement des indices S&P 500 et MOEX Russie depuis janvier 1999.

Le graphique montre le rendement des indices S&P 500 et MOEX Russie depuis janvier 1999. En général, les deux indices évoluent de concert et affichaient tous deux un gain d’environ 75 % au début d’octobre 2021. Peu après, le MOEX Russie a amorcé un déclin quand les tensions géopolitiques ont commencé à s’intensifier, et le recul s’est accentué au début de 2022. L’indice S&P 500 a également reculé en 2022, mais de façon moins marquée. Une fois ces baisses prises en compte, l’indice MOEX Russie était en hausse de 46,9 % au 14 février et l’indice S&P 500, de 75,6 %.


S&P 500

MOEX Russie

Source – RBC Gestion de patrimoine, Bloomberg ; indices mesurés en monnaie locale, données prises en compte jusqu’au 14 février 2022

Jusqu’à présent, les signaux étaient mitigés quant aux types de sanctions que l’Occident entendait imposer. Certains responsables menaçaient d’exclure la Russie du réseau international de paiements financiers connu sous le nom de SWIFT, tandis que d’autres affirmaient que cette initiative était trop risquée pour le système financier mondial et l’économie européenne. Récemment, les dirigeants occidentaux ont livré un message plus unifié concernant de sévères sanctions potentielles à l’encontre des grandes banques russes, notamment l’interdiction d’effectuer des opérations en dollars.

Il y a également eu des messages contradictoires concernant les secteurs pétrolier, gazier et agricole de la Russie. Certains préfèrent éviter de sanctionner ces secteurs en raison de la possible répercussion sur les économies occidentales, en particulier en cette période inflationniste.

La plupart des dirigeants occidentaux, y compris certains responsables allemands, ont menacé de ne pas autoriser la mise en service du gazoduc Nord Stream 2 si la Russie intervenait militairement en Ukraine. Toutefois, le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, a déclaré que même si l’exploitation du gazoduc était arrêtée en raison d’une guerre entre l’Ukraine et la Russie, cela ne signifiait pas que le Nord Stream 2 cesserait de fonctionner pour toujours. La Russie fait remarquer que la construction du gazoduc a déjà été payée grâce aux prix relativement élevés du gaz. En outre, ces dernières années, la Russie a signé des contrats avec la Chine assurant un approvisionnement en gaz supérieur à celui qui est prévu dans le cadre de Nord Stream 2, et un projet de gazoduc presque aussi important que Nord Stream 2 est en cours d’étude.

En résumé, il est raisonnable de supposer qu’une série de sanctions punitives de la part de l’Occident aurait effectivement un effet punitif et qu’elle entraverait l’économie russe, du moins à court terme.

La Russie répondra probablement aux sanctions de manière symétrique et asymétrique

Nous estimons que des sanctions généralisées à l’encontre de certains secteurs augmenteraient les incertitudes et les risques pour les marchés financiers, compte tenu des liens complexes qui existent dans le système financier mondial et les chaînes logistiques, d’autant plus que la Russie domine les marchés des ressources naturelles et de l’agriculture.

Bien que l’économie de la Russie ne soit pas comparable à celle des États-Unis ou de l’Allemagne, et qu’elle soit plus petite que celle de l’Italie, elle est la cinquième en Europe sur la base du PIB en dollars américains. En fonction de la parité du pouvoir d’achat, qui tient compte des taux de change des devises, elle est la sixième économie du monde selon les statistiques de la Banque mondiale.

La Russie est la 11e économie la plus importante sur la base du dollar américain, mais la sixième sur la base de la parité du pouvoir d’achat
Classement en fonction du PIB (en billions de dollars américains)
Rang Pays PIB
1 États-Unis 20,9
2 Chine 14,7
3 Japon 5,1
4 Allemagne 3,8
5 Royaume-Uni 2,8
6 Inde 2,7
7 France 2,6
8 Italie 1,9
9 Canada 1,6
10 Corée du Sud 1,6
11 Fédération de Russie 1,5
12 Brésil 1,4
13 Australie 1,3
14 Espagne 1,3
15 Mexique 1,1
Classement en fonction du PIB sur la base de la parité du pouvoir d’achat (en billions de dollars américains)
Rang Pays PIB
1 Chine 24,3
2 États-Unis 20,9
3 Inde 9,0
4 Japon 5,3
5 Allemagne 4,5
6 Fédération de Russie 4,1
7 Indonésie 3.3
8 Brésil 3,2
9 France 3,1
10 Royaume-Uni 3,1
11 Italie 2,5
12 Mexique 2,4
13 Turquie 2,4
14 Corée du Sud 2,2
15 Canada 1,8

Nota : Classement fondé sur les données du PIB de 2020. La parité du pouvoir d’achat tient compte de l’effet des cours de change.

Sources : RBC Gestion de patrimoine, Banque mondiale.

En plus d’être constamment le troisième producteur mondial de pétrole brut, de produits pétrochimiques et de gaz naturel, la Russie figure parmi les trois premiers producteurs de blé, d’orge, d’aluminium, d’or, de platine, de diamants et de produits du bois. Par ailleurs, elle fait partie des six premiers producteurs de titane, de minerai de fer, d’acier, de charbon, de potasse, d’azote et de phosphate utilisés dans la production d’engrais. Elle possède également d’importantes réserves de terres rares.

Par le passé, la Russie a répondu aux sanctions occidentales par des représailles symétriques ou asymétriques. Mais à ce jour, le gouvernement russe n’a pour ainsi dire pas donné d’indices quant à d’éventuelles actions ou contre-sanctions, et certains dirigeants ont souligné que les contrats commerciaux d’approvisionnement énergétique mis en place entre les entreprises russes et l’Europe étaient sacro‑saints.

En raison de leur nature à long terme, ces contrats sont peu sensibles aux fluctuations des prix au comptant du gaz naturel en Europe, mais certains sont exposés aux prix du pétrole brut négociés sur le marché. Les contrats en question sont importants pour l’économie russe, et après tout les griefs de la Russie sont principalement dirigés contre le gouvernement américain et le bloc militaire de l’OTAN, et non contre les pays d’Europe occidentale et centrale ou leurs partenaires commerciaux européens. Les pays qui n’ont pas de contrats à long terme avec la Russie, comme la Pologne, seraient à la merci des prix au comptant du gaz naturel.

Dans l’ensemble, les économies européennes pourraient être plus vulnérables que l’Amérique du Nord face à des sanctions occidentales et à des contre-sanctions russes, en raison des liens commerciaux et financiers plus étroits entre l’Europe et la Russie. RBC Marchés des Capitaux souligne toutefois que les expositions commerciales de l’Europe, à savoir les exportations de biens (indiquées dans le graphique de gauche) et les exportations de services, ne sont pas particulièrement importantes. L’investissement direct de la zone euro en Russie est également modéré, comme le montre le graphique de droite.

Les exportations de biens d’Europe centrale sont les plus exposées à la Russie, mais cette exposition n’est pas significative
Exportations de biens des principales économies vers la Russie (en pourcentage du PIB de l’exportateur)
Exportations de biens des principales économies vers la Russie (en pourcentage du PIB de l’exportateur)

Parmi les principaux pays exportateurs de marchandises vers la Russie, la République tchèque se classe au premier rang suivie de la Hongrie, ces exportations représentant respectivement 1,5 % et 1,4 % de leur PIB. Cette part est de 0,5 % pour l’ensemble de la zone euro. Pour les 12 autres pays mentionnés, la part des exportations est la suivante : Pologne 0,9 %, Turquie 0,8 %, Corée 0,7 %, Irlande 0,7 %, Allemagne 0,6 %, Autriche 0,6 %, Italie 0,6 %, Malaisie 0,5 %, Belgique 0,4 %, Pays-Bas 0,4 %, Suède 0,4 % et France 0,4 %.

Sources : RBC Marchés des Capitaux, Bloomberg, Haver Analytics, Fonds monétaire international ; les données correspondent à la somme du T4 2020 au T3 2021

L’investissement direct de la zone euro en Russie est modéré
Investissement direct des principales économies en Russie (stock, en pourcentage du PIB du pays investisseur)
Investissement direct des principales économies en Russie (stock, en pourcentage du PIB du pays investisseur)

Le graphique montre les pays et les régions qui effectuent le plus d’investissements directs en Russie. Voici le classement : Pays-Bas 4,0 %, zone euro 2,1 %, Suisse 1,8 %, Autriche 1,4 %, Royaume-Uni 1,3 %, Irlande 1,2 %, Singapour 1,1 %, France 0,8 %, Hong Kong 0,5 %, Suède 0,5 %, Allemagne 0,5 %, Hongrie 0,3 %, Belgique 0,3 %, Turquie 0,2 % et Italie 0,2 %.

Sources : RBC Marchés des Capitaux, Bloomberg, Banque centrale de Russie, Haver Analytics ; données à la fin de juin 2021

Le virage de la Russie vers l’Asie devrait s’accélérer, indépendamment de ce qui se passe avec l’Occident

Advenant des sanctions sévères, il est difficile de savoir dans quelle mesure la Russie serait isolée, étant donné que depuis quelques années, le pays a tourné son économie vers l’Asie et en particulier vers la Chine. Certains économistes russes de renom considèrent que des sanctions punitives accéléreraient le développement interne envisagé depuis longtemps par le pays, notamment la construction de nouvelles agglomérations au sud de la Sibérie (centres scientifiques, industriels et économiques) et le développement de sa région en Extrême-Orient. Autrement dit, la mise en place de lourdes sanctions occidentales ne ferait que stimuler le développement interne de la Russie et son virage vers l’Asie.

Compte tenu de sa faible dette publique et de ses réserves importantes, la Russie a les moyens financiers de mettre en œuvre sa stratégie de développement. Le plan nécessiterait toutefois une restructuration importante et laborieuse des politiques économiques du pays, voire une reconfiguration des mandats de sa banque centrale. Les propositions sont déjà en cours de préparation et un certain nombre de responsables politiques et leaders d’opinion recommandent cette direction, quelle que soit l’évolution des relations avec l’Occident.

Dans l’optique d’un virage à l’est, il sera important d’observer la réaction de la Chine au conflit géopolitique actuel entre les États-Unis, l’OTAN et la Russie, et la façon dont elle se comportera si de lourdes sanctions occidentales sont imposées à la Russie.

Le 4 février, à la suite des discussions entre le président Xi Jinping et le président Vladimir Poutine avant l’inauguration des Jeux olympiques de Pékin, le compte rendu officiel de la Chine contenait la déclaration suivante : « Les deux parties doivent poursuivre leurs échanges étroits au plus haut niveau, respecter leur accord en quatre points sur un soutien mutuel ferme, se soutenir fortement l’une et l’autre dans la défense de la souveraineté, de la sécurité et des intérêts de développement, contrer efficacement les ingérences extérieures et les menaces pour la sécurité régionale, et maintenir la stabilité stratégique internationale. »

La vulnérabilité du marché boursier est généralement brève et limitée.

Les risques en Europe de l’Est, particulièrement en Ukraine, deviennent plus clairs s’ils sont examinés dans le contexte plus général du conflit géopolitique qui oppose les États-Unis, l’OTAN et la Russie.

Ce conflit n’est pas apparu hier, ni même ces dernières années. Son origine remonte à plusieurs décennies, lorsque l’OTAN s’est déployée à l’est en prenant de plus en plus de poids dans les territoires de l’ancien bloc soviétique. Les choses arrivent maintenant à un point critique.

Une résolution diplomatique est encore possible et toutes les parties y travaillent, notamment les nations européennes, qui, parallèlement à la Russie, ont beaucoup à gagner ou à perdre. Mais nous pensons que le temps presse. La Russie a déclaré à plusieurs reprises qu’elle n’était pas intéressée par des négociations interminables ne répondant pas à ses principales préoccupations en matière de sécurité.

Comme nous l’avons expliqué, il y a un risque que des combats éclatent en Ukraine avant qu’une résolution diplomatique ne soit trouvée, en particulier dans la région du Donbass où les tensions entre l’armée ukrainienne et la RPL et la RPD sont proches de l’explosion.

En raison de ces incertitudes, nous estimons que les marchés boursiers demeurent exposés à un risque de volatilité accrue et de tendance baissière, tandis que les marchés de l’énergie pourraient subir des pressions haussières. Tout dépendra des prochains événements. Mais si l’on se fie à l’histoire, le risque associé aux guerres et aux conflits géopolitiques est généralement limité en ampleur, avec une baisse d’environ 5 % à 10 % pour les actions des principaux marchés développés, et il est normalement de courte durée. Des corrections un peu plus profondes ont été observées à la suite d’événements particulièrement perturbateurs pour les marchés de l’énergie, avec des répercussions sur la croissance économique.

Pour le moment, nous ne recommandons pas de prendre en compte ces tensions géopolitiques dans la répartition des portefeuilles à long terme. Les risques impliqués semblent être d’une nature à court terme, et ils pourraient être résolus dans les semaines ou les mois à venir d’une façon ou d’une autre. Cependant, les investisseurs doivent garder à l’esprit que le différend plus général entre les États-Unis, l’OTAN et la Russie, aggravé par les événements actuels en Ukraine, pourrait entraîner une plus forte volatilité voire un déclin pour les actions sur un horizon à court terme.


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