La baisse considérable et soutenue des coûts de l’électricité renouvelable, qui en est maintenant à sa deuxième décennie, promet une offre d’électricité plus abondante et meilleur marché au cours des prochaines années. Dans le même temps, le rythme rapide de l’innovation en matière de stockage et d’électrification ouvre des possibilités importantes pour exploiter toute cette électricité bon marché.
Les véhicules électriques et l’intelligence artificielle (IA) sont les têtes d’affiche des nouvelles technologies de plus en plus demandeuses d’électricité à bon prix. Un peu moins à l’avant-plan, mais également importantes, selon nous, les industries de base, notamment le ciment, les produits chimiques et l’acier, ne sont pas en reste, car l’électricité bon marché leur offre des occasions de réduire considérablement le coût des intrants et les coûts de traitement.
Selon nous, certaines des innovations les plus intéressantes, en bonne voie pour transformer l’industrie lourde, vont présenter leur lot d’occasions de placement.
Pour en savoir plus sur les grandes tendances qui façonnent l’avenir, y compris l’énergie renouvelable et l’électrification, veuillez consulter l’article de fond intitulé « Les « inarrêtables » » qui fait partie des Perspectives mondiales – Panorama 2025.
L’électricité : satisfaire un appétit croissant
La prolifération des parcs éoliens, des capteurs solaires et, désormais, des systèmes de stockage a fait baisser le coût des énergies renouvelables (sans subvention) à des niveaux qui en font déjà les sources d’énergie les plus économiques dans de nombreux pays, comme nous l’avons décrit dans l’article de fond « Les « inarrêtables » » de notre publication Perspectives mondiales –Panorama 2025. Le coût de l’électricité produite à partir d’énergies renouvelables a reculé à des niveaux qui semblaient inimaginables il y a à peine dix ans.
Les énergies solaire et éolienne terrestre sont maintenant les sources d’électricité les moins coûteuses
Coût actualisé mondial de l’électricité par mégawattheure

Le graphique montre le coût global de l’exploitation d’actifs de production qui utilisent le charbon, le gaz naturel, l’énergie éolienne terrestre et l’énergie solaire, de 2009 à 2023. Le coût de l’énergie solaire est passé de plus de 400 $ le mégawattheure en 2009 à moins de 50 $ en 2023. Le coût de l’énergie éolienne en mer est passé d’environ 220 $ en 2009 à 270 $ en 2013, puis a diminué de façon constante pour s’établir à environ 75 $ le mégawattheure en 2023. Le coût des éoliennes terrestres a diminué régulièrement, passant d’environ 125 $ à 40 $ le mégawattheure. Les coûts des centrales au charbon et au gaz naturel sont demeurés relativement constants ou ont augmenté modérément depuis 2014 (première année où les données étaient disponibles).
Le coût actualisé de l’électricité est le prix de rentabilité à long terme dont un projet d’électricité a besoin pour récupérer tous les coûts et atteindre le taux de rendement requis. Le coût actualisé de l’électricité ne comprend pas les subventions.
Source : BloombergNEF; données non disponibles pour les usines de charbon et de gaz avant 2014.
L’Agence internationale de l’énergie (AIE) estime que la capacité installée de production d’électricité à partir d’énergies renouvelables a atteint un sommet de 666 gigawatts (GW) en 2024, soit une hausse remarquable de 30 % par rapport à 2023. D’ici 2030, l’AIE pense que la capacité mondiale de production des énergies renouvelables pourrait être multipliée par 2,7. Depuis dix ans, le déploiement mondial annuel de nouvelles installations de production d’énergie solaire dépasse régulièrement, et parfois de 100 % ou plus, les prévisions de l’agence.
Cette croissance remarquable est alimentée non seulement par les avantages liés aux coûts, mais aussi par l’appétit croissant pour l’électricité à l’échelle mondiale. Et la demande devrait s’accélérer à l’avenir, du fait, notamment, de la consommation d’électricité de centres de données qui grossissent et se multiplient. Appartenant principalement à de grandes sociétés technologiques, les centres de données consomment de vastes quantités d’énergie, en particulier pour l’entraînement et le déploiement des modèles d’IA. Par exemple, le traitement d’une requête soumise à un assistant virtuel d’IA prend 10 fois plus d’électricité qu’une recherche dans Google.
Aux États-Unis, plus du tiers de la nouvelle demande d’électricité entre 2022 et 2026 devrait provenir de l’expansion des centres de données. Selon l’AIE, ces installations devraient passer de 4 % de la consommation totale d’électricité aux États-Unis en 2022 à 6 % en seulement quatre ans. Ces deux points de pourcentage supplémentaires peuvent sembler négligeables, mais ils correspondent à un taux de croissance annuel moyen de 10 %, un rythme qui pourrait surpasser le développement des infrastructures énergétiques et provoquer, notamment, des pannes de courant plus fréquentes.
La consommation d’électricité des centres de données croît rapidement
Estimation de la consommation d’électricité des centres de données (térawattheures)

Le graphique à colonnes compare la consommation énergétique estimée des centres de données en 2022 et 2026 pour les États-Unis, l’Union européenne et la Chine. La consommation d’énergie des centres de données américains devrait passer de 200 térawattheures en 2022 à 260 en 2026. Dans l’UE, la consommation devrait passer de 100 térawattheures en 2022 à 150 en 2026. En Chine, la consommation devrait passer de 200 térawattheures en 2022 à 300 en 2026.
Un térawatt représente 1 billion de watts.
Sources : RBC Gestion de patrimoine, Statista.
La décision du gouvernement américain d’abandonner ses objectifs climatiques fédéraux a affaibli les engagements des entreprises à l’égard des initiatives vertes. De nombreuses sociétés technologiques reviennent ou tentent de revenir aux combustibles fossiles, mais demeurent engagées à l’égard des énergies renouvelables en raison de leurs faibles coûts et de l’augmentation de la demande d’énergie. Certaines sociétés explorent également l’énergie nucléaire comme autre source d’énergie fiable à long terme.
À première vue, l’énergie nucléaire semble bien adaptée aux besoins des centres de données, puisqu’elle fournit une énergie propre et extrêmement fiable 24 heures sur 24. Mais la construction de nouvelles centrales nucléaires nécessite non seulement des investissements massifs, mais s’accompagne aussi généralement de délais très longs et de dépassements de coûts, des enjeux aggravés par la pénurie d’expertise nucléaire après le délaissement du secteur au début du siècle pour des motifs de sécurité.
L’une des approches émergentes qui vise à surmonter ces difficultés est le petit réacteur modulaire (PRM). Ce type de réacteur de pointe, qui produit une fraction de l’énergie produite par les centrales nucléaires traditionnelles, est destiné à être construit en usine et assemblé à son lieu de destination pour répondre aux besoins particuliers des clients.
Les sociétés cherchent à diversifier leurs sources d’énergie
Microsoft est un exemple typique. La société prévoit maintenant que, d’ici 2030, elle aura besoin de plus de cinq fois plus d’électricité qu’elle avait prévu en 2020. Elle a conclu une entente de plusieurs milliards de dollars avec Brookfield Renewable Partners, qui lui fournira plus de 10,5 gigawatts d’électricité à compter de 2026, majoritairement à partir d’énergies solaire et éolienne. Elle achètera également de l’électricité à Constellation Energy, qui prévoit redémarrer la centrale nucléaire de Three Mile Island aux États-Unis. En outre, la société a créé le poste de directeur des technologies nucléaires en 2024 pour superviser le développement de systèmes à PRM pour les centres de données.
Stockage : résoudre le problème de variabilité
Si la baisse des coûts est à l’origine de la multiplication des capacités de production d’énergie renouvelable, les progrès technologiques réalisés pour résoudre le problème de la nature intermittente des énergies éolienne et solaire sont tout aussi importants pour le paysage énergétique global.
Les évolutions en matière de technique, de gestion et d’ingénierie des systèmes ont amélioré les réseaux traditionnels pour accommoder les sources renouvelables. En particulier, l’expansion rapide des installations capables de stocker suffisamment d’électricité pour compenser la variabilité naturelle de la production d’énergie renouvelable a changé la donne. Les batteries dites « en réseau » sont des appareils électrochimiques qui recueillent l’énergie du réseau, la stockent et la libèrent plus tard pour fournir l’électricité nécessaire.
Au-delà du besoin évident de maîtriser des sources d’énergie renouvelable intermittentes, la chute rapide des prix des batteries stimule cette croissance. Le prix des batteries stationnaires au lithium-ion par kilowattheure de stockage a diminué d’environ 40 % entre 2020 et 2023, selon BloombergNEF.
Selon l’AIE, le stockage à l’échelle du réseau est la technologie énergétique qui connaît la plus forte croissance. L’agence estime qu’environ 80 gigawatts (GW) de capacité ont été ajoutés de 2022 à 2025, soit huit fois plus que l’expansion de la capacité au cours de la période 2010-2020.
À l’instar de la production d’électricité, la catégorie du stockage d’électricité est élargie par l’innovation. Les batteries sodium-ion, en particulier, semblent prometteuses. Comme le sodium est un élément très abondant, ces batteries présentent moins de risques pour les chaînes d’approvisionnement et sont également moins sensibles aux tensions géopolitiques que le lithium, un élément dérivé de minéraux concentrés dans quelques régions politiquement volatiles.
Pour en savoir plus sur les risques pour les chaînes d’approvisionnement associés aux minéraux qui jouent un rôle clé dans la transition énergétique, veuillez consulter le rapport spécial de la série Perspectives mondiales intitulé « Mission essentielle : sécuriser l’approvisionnement en minéraux critiques ».
En plus d’être moins chères à produire que les batteries au lithium-ion, les batteries au sodium présentent un autre avantage potentiel : elles sont moins inflammables, ce qui réduit les risques d’incendie et entraîne une baisse des primes d’assurance pour les utilisateurs. Cet avantage ne devrait pas être sous-estimé; en 2021 et en 2023, des incendies ont endommagé deux installations de batteries en réseau exploitées par Tesla en Australie. Plus récemment, en janvier 2025, un incendie qui s’est produit dans la plus grande usine de stockage de batteries en Californie a détruit 300 mégawatts (MW) de stockage de batteries au lithium, anéantissant 2 % de la capacité totale de stockage d’énergie de l’État.
Beaucoup d’efforts sont actuellement déployés à l’échelle mondiale pour développer la technologie des batteries sodium-ion. Le fabricant chinois de batteries Contemporary Amperex Technology Limited (CATL) a récemment annoncé une batterie sodium-ion capable de fonctionner à -40 °C, une caractéristique importante pour les climats plus froids. Aux États-Unis, la société privée Natron Energy, soutenue par le géant pétrolier Chevron, a investi 1,4 milliard de dollars pour construire une usine de batteries sodium-ion en Caroline du Nord.
L’AIE estime que les batteries sodium-ion représenteront 10 % de l’ensemble du stockage d’énergie installé d’ici cinq ans.
Électrification de l’industrie : la situation « s’échauffe »
L’électrification des industries de base était jugée infaisable, car on estimait les fournaises électriques incapables de produire une chaleur suffisamment élevée pour la réalisation de nombreux processus industriels. Toutefois, les innovations récentes ont surmonté nombre de ces limitations, permettant l’électrification de processus qui étaient auparavant l’apanage des combustibles fossiles, comme le processus de calcination pour la fabrication du ciment.
Dans son livre Zero-carbon Industry, Jeffrey Rissman explique que l’électrification des processus industriels doit être envisagée comme le remplacement rentable des processus à base de combustibles par des solutions de rechange électriques. À l’ère de la sécurité énergétique, un tel objectif est particulièrement important pour les pays qui cherchent à réduire leur dépendance aux combustibles fossiles importés.
Pour en savoir plus sur l’importance croissante de la sécurité énergétique à l’échelle mondiale, veuillez consulter le rapport spécial de la série Perspectives mondiales intitulé « Relancer la transition énergétique? »
M. Rissman souligne que l’électrification de l’industrie se résume en grande partie à pouvoir produire de la chaleur à partir d’électricité, comme la chaleur représente plus de 90 % de l’utilisation des combustibles aux États-Unis pour les processus industriels (à l’exclusion des matières premières), selon l’Energy Information Administration des États-Unis.
De plus, il estime que la chaleur doit atteindre une température inférieure à 500 °C dans moins de la moitié des processus industriels. Par exemple, l’alimentation et les pâtes et papiers reposent sur des processus qui n’ont besoin que de 200 °C de chaleur, voire moins. En revanche, les fours à ciment doivent atteindre des températures de l’ordre de 1 300 °C à 1 450 °C, tandis que les hauts-fourneaux de fabrication d’acier exigent de 1 600 °C à 1 800 °C.
Pour les processus qui nécessitent une chaleur moins extrême, comme dans les filières de l’alimentation, des pâtes et papiers ou même des produits pharmaceutiques et des textiles, les thermopompes sont devenues une solution de rechange. De plus en plus utilisées pour le chauffage domestique, les thermopompes agissent comme des réfrigérateurs inversés, prenant de la chaleur de l’extérieur pour la déplacer à l’intérieur. Elles sont écoénergétiques, car elles ne produisent pas de nouvelle chaleur, elles ne font que la déplacer, ce qui permet de réaliser d’importantes économies d’énergie.
Les thermopompes industrielles sont utilisées en Europe et au Japon, deux régions où l’électricité est meilleur marché que le gaz naturel. La société japonaise Kobe Steel, par exemple, vend des thermopompes industrielles qui produisent de la vapeur à 165 °C. Les subventions et les mesures incitatives des gouvernements ont contribué à l’adoption de cette nouvelle technologie.
Et même aux États-Unis, où l’énergie est abondante, on envisage de plus en plus d’utiliser des thermopompes. Selon le consortium industriel Renewable Thermal Collaborative (RTC), il ne coûte pas plus cher d’atteindre 130 °C avec une thermopompe qu’avec une chaudière à gaz. Des thermopompes à température plus élevée sont également en cours de développement. La société industrielle allemande SPH Sustainable Process Heat GmbH a mis au point une thermopompe qui exploite la chaleur industrielle résiduelle et produit jusqu’à 200 °C de chaleur.
Pour les processus qui nécessitent une chaleur beaucoup plus intense, les batteries thermiques sont devenues une solution potentielle. Certaines sont composées de briques confinées dans une boîte en métal et chauffées par des conducteurs électriques à des températures supérieures à 1 000 °C. Grâce à une isolation efficace, elles peuvent conserver la chaleur pendant des jours et la libérer au besoin à diverses températures.
De nombreuses sociétés entreprennent d’électrifier leurs processus industriels
Produits chimiques : Un nouveau consortium réunissant BASF, géant allemand des produits chimiques, SABIC, grand groupe pétrochimique saoudien, et Linde, société mondiale de gaz industriels, cherche à mettre au point un four électrique capable de produire une chaleur suffisamment intense pour que se produisent les réactions chimiques nécessaires aux processus de fabrication.
Exploitation minière : Rio Tinto et BHP, deux des plus grandes sociétés minières au monde, ont lancé une initiative de collaboration visant à construire la première fonderie électrique de minerai de fer en Australie.
Ciment : Holcim, le géant allemand du ciment, explore les moyens d’électrifier les fours et intègre déjà de l’électricité renouvelable à diverses étapes du processus de production.
Acier : La société suédoise SSAB cherche à commercialiser de l’acier vert d’ici 2026 en remplaçant les hauts-fourneaux à charbon par une réduction directe à l’hydrogène, lui-même produit par électrolyse alimentée par de l’électricité renouvelable.
L’électrolyse est une autre technologie qui joue un rôle crucial. Au lieu de stimuler les réactions chimiques par la chaleur, l’électrolyse les provoque en faisant passer un courant électrique à travers une solution. Largement utilisée pour la production d’hydrogène vert, l’électrolyse est à l’étude pour la fusion du minerai de fer et pourrait remplacer le four dans la production de ciment.
Enfin, lorsque des températures extrêmes sont nécessaires, le four à arc électrique, une technologie existant depuis près d’un siècle, est de plus en plus utilisé. Dans l’industrie de l’acier, cet appareil utilise des arcs électriques pour faire fondre la ferraille et la transformer en acier. Ce four offre une alternative plus écoénergétique et plus écologique aux hauts-fourneaux traditionnels qui fabriquent de l’acier à partir de minerai de fer et de charbon cokéfiable au moyen d’un processus appelé « fusion ». Les fours à arc électrique conviennent surtout aux marchés développés, où la ferraille est abondante et facilement disponible.
Bien que cette technologie soit bien établie, elle attire de nouveaux convertis. En 2024, Tata Steel a fermé ses hauts-fourneaux au Pays de Galles, au Royaume-Uni, dans l’intention de passer à la fabrication électrique de l’acier.
Innover, toujours innover
Ces nouvelles technologies fonctionneront-elles à grande échelle? Seul le temps nous le dira. Toutefois, les sceptiques feraient bien de se rappeler que d’autres technologies à faibles émissions de carbone, comme l’énergie éolienne et solaire, ont connu à leurs débuts des taux d’échec élevés et des déploiements lents. À mesure que les ingénieurs et les entreprises ont progressé dans leurs efforts, les taux d’échec ont diminué et l’adoption s’est accélérée bien plus rapidement que prévu.
Même si ces nouvelles technologies se révéleront applicables à grande échelle et efficaces, l’électrification de l’industrie prendra du temps. Le changement des processus peut entraîner des coûts initiaux élevés, notamment pour la formation, et des arrêts de production perturbateurs.
Pourtant, la marche vers l’électrification, soutenue par la chute des coûts de l’électricité renouvelable et l’importance accrue de la sécurité énergétique, se poursuit. Les innovations en matière d’énergie, de stockage et d’électrification des processus industriels vont bon train.
Bien que les nouvelles technologies et les innovations perturbatrices puissent, à terme, présenter des occasions prometteuses pour les investisseurs, elles comportent des risques inhérents. À mesure que les entreprises croissent et, parfois, fusionnent, que la dynamique du marché change et que les prix fluctuent, la voie à suivre peut être incertaine. Par conséquent, même s’il est important de rester à l’affût des nouveaux développements, de nombreux investisseurs pourraient choisir de se concentrer sur des secteurs et des thèmes plus établis. L’efficacité énergétique, par exemple, est un thème de placement qui sous-tend de nombreuses entreprises offrant des produits et des services visant à optimiser la consommation et à réduire les coûts de l’énergie.
À mesure que des innovations émergent pour relever les défis d’un monde en évolution, nous invitons les investisseurs à envisager les occasions et les risques à la lumière de leurs objectifs de placement à long terme.