- Bien qu’inhabituellement élevée, la croissance des salaires au Canada semble beaucoup moins exceptionnelle lorsque l’on tient compte de l’inflation et des graves pénuries de main-d’œuvre qui ont marqué le début de la reprise après la pandémie.
- De surcroît, elle pourrait maintenant ralentir par suite de la faible productivité du Canada et de la vigueur réduite du marché du travail.
- La croissance de la productivité au Canada, déjà peu élevée, a ralenti encore davantage depuis la pandémie, faisant augmenter le coût unitaire de la main-d’œuvre sans hausse proportionnelle des salaires, lesquels sont de moins en moins concurrentiels avec ceux, stimulés par la productivité, qui prévalent aux États-Unis.
- Point clé : Une nouvelle détérioration de la productivité du Canada menace la croissance des salaires, déjà relativement modeste par rapport à l’inflation galopante.
La croissance des salaires commence tout juste à rattraper l’inflation
La hausse des salaires moyens pendant la pandémie a été presque entièrement attribuable au fait que les pertes d’emploi étaient concentrées dans le segment inférieur de l’échelle des salaires. En 2021, une fois la reprise en cours, la croissance des salaries a accusé une perte de vitesse par rapport à l’inflation en hausse, réduisant le pouvoir d’achat des ménages. Les estimations de la rémunération horaire moyenne au Canada sont multiples, et parfois contradictoires, mais la récente accélération de la croissance des salaires est indiscutable. Néanmoins, les salaires « réels » (après rajustement en fonction de l’inflation) ont diminué d’environ 1 % en 2021 et de 2,5 % en 2022 avant de remonter en 2023.
Sur l’ensemble du cycle depuis 2019 jusqu’à aujourd’hui, les estimations relatives aux salaires réels vont d’une croissance annuelle moyenne d’environ 1% (essentiellement la même qu’avant la pandémie) pour les plus optimistes à de légères baisses par rapport aux niveaux prépandémiques pour les économistes les plus prudents.
La croissance des salaires réels semble moins élevée qu’elle ne devrait l’être compte tenu de la vigueur des marchés de l’emploi au début de la reprise post-pandémie, lorsque la demande de travailleurs dépassait largement l’offre, donnant aux chercheurs de travail une position de force historique en termes de négociations salariales.
La faible croissance de la productivité menace les gains à venir
La productivité des travailleurs (production par heure travaillée) est inextricablement liée à la rémunération des travailleurs au fil du temps, et les estimations de la productivité canadienne figurent parmi les statistiques les plus inquiétantes de l’économie post-pandémie, après des décennies de productivité déjà insuffisante.
Par « productivité », on entend la production moyenne par heure travaillée. Une productivité plus élevée fait augmenter les bénéfices des entreprises, leur permettant d’offrir des salaires plus élevés sans que ces hausses se répercutent négativement sur leurs résultats. La productivité augmente normalement au fil des innovations, des achats d’équipements plus efficients, et du perfectionnement de la main-d’œuvre.
Le ralentissement du taux de croissance de la productivité n’est pas un problème nouveau pour le Canada, mais il s’est aggravé depuis la pandémie. Au dernier décompte (T3 2023), la productivité horaire était inférieure aux niveaux moyens de 2019. Cela place le Canada au 5ème rang des économies du G7 pour la croissance de la productivité au cours de cette période, loin derrière les États-Unis qui ont enregistré une hausse de 6 %. Cela pourrait s’expliquer par la faiblesse des investissements des entreprises durant plus d’une décennie, mais également par le fait que le Canada n’utilise pas pleinement les compétences des nouveaux immigrants.
Les fluctuations à court terme de l’offre et de la demande de main-d’œuvre ont également une incidence sur les salaires. De plus, le vieillissement de la population signifie que les pénuries de main-d’œuvre pourraient persister à plus long terme. Pénurie de main-d’œuvre mise à part, une croissance soutenue des salaires n’est généralement pas possible sans une augmentation soutenue de la productivité des travailleurs. Au cours des trente dernières années, le salaire horaire réel des travailleurs a évolué en grande partie au même rythme que la croissance de la productivité.
La croissance des salaires sera inégale, mais devrait dans l’ensemble ralentir
La dynamique du marché du travail à court terme a déjà fait basculer le rapport de force au détriment des travailleurs dans les négociations salariales. La disponibilité de main-d’œuvre a augmenté avec le taux de chômage, en hausse de 0,7 point de pourcentage par rapport à l’année précédente. La demande de travailleurs est également en forte baisse, les offres d’emploi étant inférieures de 25 % aux niveaux de l’année dernière. Les pénuries de main-d’œuvre signalées par les entreprises sont moins fréquentes et moins importantes. En outre, la faiblesse de la productivité par rapport à celle des États-Unis a fait augmenter le coût unitaire relatif de la main-d’œuvre au Canada d’environ 6 %. Cela rend la production canadienne relativement plus coûteuse et moins concurrentielle.
À long terme, la croissance de la productivité est le principal moteur de l’amélioration du niveau de vie. C’est, en effet, le seul moyen de faire augmenter durablement et simultanément les bénéfices des entreprises et les salaires des travailleurs. Mais il y a peu de raisons de penser que la productivité s’accélérera sensiblement à court terme. L’investissement en capital est resté relativement faible La croissance de la productivité dans les secteurs des services, généralement moins dépendante de l’investissement en équipement et davantage dépendante du capital humain (compétences et formation), a également été à la traîne. Selon les estimations de Statistique Canada, la production horaire dans le secteur des services professionnels (historiquement une industrie à productivité et à salaires relativement élevés) a baissé de 10 % par rapport aux niveaux prépandémiques.
Il existe toutefois des solutions évidentes à ces problèmes, comme encourager les investissements des entreprises et améliorer la politique nationale quant à l’utilisation des compétences des nouveaux immigrants. Toutefois, une augmentation des salaires soutenue et nettement supérieure au taux d’inflation à long terme – essentielle pour que les niveaux de vie continuent de s’améliorer – dépendra également de la résolution des problèmes en matière de productivité.
Nathan Janzen est économiste en chef adjoint. Il dirige le groupe d’analyse macroéconomique. Il s’intéresse principalement à la situation macroéconomique du Canada et des États-Unis, qu’il analyse et pour laquelle il formule des prévisions.
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