Au moment où les taux de nouvelles infections s’améliorent en Europe et en Amérique du Nord, les grands marchés boursiers ont rebondi avec vigueur. L’indice S&P 500 a progressé de 19 % depuis son creux de mars et il se trouve désormais à 21,5 % « seulement » de son sommet historique, alors qu’on ignore encore les conséquences économiques de la COVID‑19. Les économistes ajustent encore leurs prévisions de récession. Par exemple, RBC Gestion mondiale d’actifs a encore réduit ses prévisions pour le PIB des États‑Unis. Vous trouverez ci‑dessous le détail des révisions à la baisse des estimations et des réflexions du stratégiste, Actions américaines de RBC et du Comité des Services‑conseils en gestion mondiale de portefeuille. Nous prévoyons encore de la volatilité sur les marchés, à la baisse et à la hausse.
De plus lourds dommages
Les statistiques relatives à la crise de la COVID‑19 se sont améliorées dans deux des pays les plus durement touchés – l’Italie et l’Espagne –, et New York voit la lumière au bout du tunnel, mais l’incidence sur les économies des pays développés n’est pas encore établie. Eric Lascelles, économiste en chef, RBC Gestion mondiale d’actifs Inc., s’attend maintenant à une récession plus importante qu’il ne l’avait prévu dernièrement aux États‑Unis.
- M. Lascelles a abaissé à ‑7,7 % sa prévision de croissance du PIB des États‑Unis pour 2020, comparativement à sa récente estimation réduite de ‑3,2 %. Il s’agirait du recul annuel le plus important depuis 1946, année où le PIB a subi une chute de 11,6 % durant la démobilisation suivant la Seconde Guerre mondiale, compte tenu du fort repli de la demande d’armes et d’autres produits industriels.
- Selon les prévisions pour 2020, la croissance économique chuterait brièvement de 20 % durant la période la plus difficile (ce qui est encore plus bas que l’estimation précédente d’un recul de 15 %), avant de se stabiliser et d’entrer dans une phase de reprise. À titre de comparaison, l’Organisation de coopération et de développement économiques, communément appelée « OCDE », estime que le repli de la croissance du PIB variera de 20 % à 25 % pour les économies développées.
- Qui plus est, étant donné le caractère exceptionnel de la crise, M. Lascelles croit qu’il est sage d’envisager d’autres scénarios de baisse – certains meilleurs, d’autres pires – variant selon l’ampleur et la durée de la crise. Les scénarios prévoient une contraction économique faible, moyenne ou forte qui s’étendrait à court, à moyen ou à long terme. Le tableau de la page suivante présente neuf scénarios. Tous les scénarios sont plus sombres que ses estimations précédentes quant à l’incidence sur la croissance du PIB, puisque les reculs sont plus importants et un peu plus longs. Pour le moment, le scénario de base de M. Lascelles se trouve au centre du tableau : il s’agit d’une baisse d’ampleur moyenne (diminution de 20 % au point le plus bas) et de durée moyenne (12 semaines du sommet au creux).
- Les investisseurs ne doivent toutefois pas se limiter à surveiller l’ampleur et la durée de la crise économique. M. Lascelles écrit : « La rapidité à laquelle l’économie se relèvera, lorsque les mesures de quarantaine prendront fin, est un facteur très important. Nous avons graduellement abaissé nos prévisions à ce sujet au fil du temps, reconnaissant que l’économie subit presque assurément des dommages réels, mais non apparents, surtout à cause de l’étape avancée du cycle économique avant la crise. Par conséquent, même si les origines du choc sont entièrement artificielles et si la production effaçait plus de 60 % de sa baisse au cours du trimestre suivant immédiatement la fin de la quarantaine, nous croyons qu’elle mettra encore une année à effacer les 40 % restants. »
Le mot tant redouté
Un repli si important évoque naturellement un certain mot, c’est‑à‑dire « dépression », et plus particulièrement « Grande Dépression ». En quoi une chute initiale de 20 % dans le contexte d’un recul annuel de 7,7 % de la croissance du PIB aux États‑Unis se compare‑t‑elle à cette affreuse période ?
- M. Lascelles écrit : « Dans les scénarios d’ampleur moyenne, le recul de l’économie [de 20 %] de son sommet à son creux est tout juste inférieur à celui subi lors de la Grande Dépression, qui reste toutefois impressionnant. Rappelons toutefois que le principal problème avec la Grande Dépression est que la récession a été exceptionnellement longue – quatre années de baisse du PIB, sans compter de longues années pour la reprise –, tandis que la crise actuelle se distingue par sa courte durée probable et son caractère artificiel. »
Des marchés bipolaires
Les marchés financiers ont tendance à se tourner vers l’avenir plutôt que vers le passé. Nous croyons que les piètres données économiques à venir se reflètent en grande partie dans la vaste liquidation rapide d’actions survenue au cours du dernier mois. Il est raisonnable de croire que les marchés boursiers prennent déjà en compte des contractions marquées (et brèves) au sein des économies mondiales et développées, notamment celle des États‑Unis. On ignore toutefois encore si les marchés sous‑estiment (ou surestiment) l’ampleur et la durée des replis de l’économie et des bénéfices des entreprises, et si les trajectoires de reprise ont été prévues correctement.
- Lori Calvasina, chef, Stratégie sur actions américaines, RBC Marchés des Capitaux, SARL, écrit : « Nous admettons toutes les possibilités quant à l’atteinte d’un creux par l’indice S&P 500 le 23 mars dans le contexte de la crise du coronavirus, mais nous demeurons sceptiques et nous ne serions pas étonnés de voir l’indice redescendre à son creux de 2020 et même baisser davantage. »
- Elle fait remarquer que, selon l’enquête hebdomadaire de l’American Association of Individual Investors, la confiance des investisseurs individuels n’est pas encore extrêmement basse, comme c’est souvent le cas lorsque le marché approche d’un plancher. Quand le pessimisme est énorme, le marché peut y voir un bon indicateur contraire. En d’autres termes, plus les investisseurs sont pessimistes, plus les craintes sont grandes, ce qui indique que de nombreux investisseurs ont déjà jeté la serviette. Dans ce climat, un creux est souvent atteint.
- La crise de la COVID‑19 a déclenché des liquidations sur plusieurs jours ainsi que de fortes hausses du S&P 500 et d’indices d’autres marchés importants. La situation nous rappelle que de telles fluctuations étaient une caractéristique de la crise financière de 2008‑2009, et que ce processus pourrait encore se dérouler dans le marché baissier actuel.
- Mme Calvasina ajoute : « Nous demeurons optimistes quant au S&P 500 d’ici à la fin de l’année, mais nous pensons qu’il est probable que le S&P 500 redescendra à son creux du 23 mars. Nous ne serions pas étonnés non plus de le voir atteindre un nouveau creux, alors que les investisseurs en actions prennent conscience de l’ampleur des dommages causés par le coronavirus aux bénéfices et à l’économie des États‑Unis. »
Le Canada subit deux chocs simultanés
- L’indice composé S&P/TSX a plongé de 37 % entre le sommet atteint en février et le creux touché en mars. Même s’il a rebondi de 21 % depuis, il est demeuré à la traîne des indices américains au cours de cette période de perturbations. À l’heure actuelle, le ratio cours‑bénéfice prévisionnel de l’indice boursier canadien s’établit à environ 13,9x, alors que sa moyenne à long terme est de 15,5x. Malgré une apparente sous‑évaluation, nous nous attendons à ce que les bénéfices prévisionnels soient revus à la baisse lorsque les sociétés mettront à jour leurs prévisions dans le cadre de la publication de leurs résultats du premier trimestre.
- Nous croyons que les chocs simultanés entraînés par la faiblesse des prix du pétrole et les perturbations liées au virus ont accru le risque de baisse qui plane sur le marché boursier canadien. L’équipe Services économiques RBC croit que l’économie canadienne est en récession ; l’ampleur et la durée de celle‑ci sont, à notre avis, extrêmement incertaines. L’indice composé S&P/TSX affiche habituellement un rendement inférieur à celui du S&P 500 en période de récession, principalement parce que les secteurs cycliques comme la finance, l’énergie et les matières représentent près de 60 % de l’indice canadien. Dans le contexte de la contraction actuelle, nous craignons que les ménages canadiens soient en mauvaise posture pour résister à un repli prolongé, étant donné leur endettement élevé et leur faible taux d’épargne.
- Selon nous, les principaux prêteurs canadiens sont bien capitalisés et devraient donc être en mesure de maintenir leurs dividendes malgré la faiblesse généralisée du crédit. Nous nous attendons toutefois à un recul considérable de leurs bénéfices. Les rendements en dividendes sont en apparence intéressants. Nous tenons toutefois à avertir les détenteurs de titres de banques qu’ils doivent être enclins à encaisser la volatilité que nous anticipons dans cette période d’incertitude et avoir les reins assez solides pour le faire.
- Compte tenu de la faiblesse des prix des marchandises, les producteurs de pétrole ont fait de la préservation du bilan leur priorité absolue : ils ont réduit d’environ 30 % leurs projets de dépenses en immobilisations et ont été nombreux à annoncer une réduction de leurs dividendes. Si la faiblesse des prix du pétrole persiste longtemps, même les sociétés les plus importantes et bien pourvues en capitaux pourraient n’avoir d’autre choix que de réévaluer leurs politiques de versement de dividendes.
- La trajectoire des prix du pétrole est difficile à prévoir dans un contexte marqué par une combinaison sans précédent de perturbations de l’offre et de la demande. Des articles de presse indiquant que les pays producteurs de pétrole font preuve d’une volonté renouvelée de coordonner leurs réductions de production ont donné un nouveau souffle aux prix du pétrole. Cependant, les modalités de tout accord possible sont difficiles à évaluer en raison des enjeux géopolitiques.
- La Banque du Canada a collaboré aux efforts en ramenant son taux directeur à près de zéro. Nous sommes toutefois d’avis que la clé de toute tentative visant à compenser la contraction rapide et marquée de l’économie réside dans la relance budgétaire. Le gouvernement du Canada a rattrapé les autres pays développés en décidant d’apporter une aide directe dont la valeur est estimée à 105 G$ CA par Services économiques RBC. De ce total, 71 G$ CA seront offerts sous la forme de subventions salariales visant à préserver le lien entre les travailleurs et leurs employeurs, facteur qui sera essentiel à la reprise après l’épidémie.
À la recherche de valeur sur les marchés du crédit
Le marché boursier n’est pas le seul à connaître une évolution rapide. Du côté des titres à revenu fixe, le marché du crédit mérite également qu’on y porte une attention particulière.
- Après avoir atteint un sommet le 23 mars, les rendements en revenu des principaux indices obligataires américains de titres de catégorie investissement et à rendement élevé ont reculé d’environ 1 % et 2 % respectivement. Un ensemble de facteurs a favorisé un certain retour au calme sur les marchés du crédit, y compris l’engagement des banques centrales et des gouvernements du monde à faire tout en leur pouvoir pour lutter contre la baisse de la production économique. L’indice des obligations à rendement élevé affiche toujours un rendement en revenu historiquement élevé d’environ 10 %, tandis que le rendement en revenu de l’indice des obligations de catégorie investissement est retombé aux environs de sa moyenne sur cinq ans.
- Un grand nombre de sociétés ont profité de l’occasion pour émettre des titres de créance : plus de 100 G$ d’obligations de catégorie investissement ont été émis aux États‑Unis la semaine dernière, et les émissions depuis le début de l’année sont en hausse de 50 % par rapport à pareille date l’année dernière. Même sur les marchés d’obligations à rendement élevé et de prêts à effet de levier, quelques émetteurs ont tâté le terrain après des interruptions de deux et de quatre semaines, respectivement. Comme les coupons tournent autour de 10 %, le marché semble peu attrayant pour les émetteurs de moindre qualité.
- L’ajustement rapide de la rémunération du risque de crédit, qui a donné lieu à la hausse la plus rapide des taux des obligations de sociétés de l’histoire, est l’une des raisons pour lesquelles les investisseurs (y compris nous‑mêmes) ont commencé à voir les obligations de sociétés d’un meilleur œil. Un examen des taux obligataires par rapport à l’endettement des sociétés, c’est‑à‑dire de la compensation offerte aux investisseurs pour le passif figurant au bilan des sociétés, indique selon nous que le profil risque‑rendement des obligations de catégorie investissement et à rendement élevé s’est considérablement amélioré.
- Les nombreuses politiques annoncées récemment par les banques centrales du monde pour venir en aide aux marchés financiers ont favorisé l’amélioration des perspectives des marchés du crédit. La Banque centrale européenne a augmenté la taille et la portée de ses programmes d’achats d’obligations, ce qui représente un changement de cap considérable par rapport aux règles complexes et restrictives applicables antérieurement. La Réserve fédérale américaine se lancera quant à elle pour la première fois de son histoire dans l’achat des obligations de sociétés, ainsi que de fonds négociés en bourse (FNB) d’obligations. Jusqu’à présent, ces mesures semblent avoir l’effet recherché : bon nombre de FNB d’obligations qui se négociaient nettement en deçà de leur valeur liquidative se négocient maintenant légèrement au‑dessus de celle‑ci.
- Nous croyons qu’en raison de la réévaluation du risque dans le marché des obligations de sociétés, le profil risque‑rendement à moyen et à long terme penche de nouveau en faveur des investisseurs. Ce marché devient donc intéressant pour y faire fructifier des liquidités. Quand ils sont évalués aux niveaux actuels, les titres de créance de sociétés ont surclassé par le passé les obligations d’État et ont généralement suivi le rythme des actions à la première étape d’une reprise.
- Nous sommes toujours d’avis que le marché canadien des actions privilégiées est baissier, mais qu’il ne s’est pas effondré pour autant. Il existe encore des titres rapportant des taux supérieurs à 6 % dans une vaste gamme de structures. Les sociétés doivent continuer à alimenter ce flux de dividendes, à moins que les dividendes d’actions ordinaires soient réduits à néant.
Stratégie par étapes pour la sortie de crise
Nous croyons toujours que la crise de la COVID‑19 est temporaire, qu’elle passera et que les grandes économies finiront par s’en remettre. La stratégie d’abandon des mises en quarantaine de la population représente une grande source d’incertitude en ce qui a trait au processus de redressement de l’économie, y compris en Amérique du Nord. Selon nous, certaines étapes devront être suivies afin de permettre aux économies de retourner à la « normale ».
- Première étape : imposer une distanciation sociale à grande échelle. Ce processus est déjà bien engagé et semble se traduire par des résultats favorables, ce qui explique en partie le récent rebond des marchés boursiers.
- Deuxième étape : redémarrer partiellement les grandes économies, tout en maintenant une certaine distanciation sociale. Cette tâche est plus complexe. Elle pourrait nécessiter la mise en œuvre de mesures de dépistage de la COVID‑19 et de recherche des contacts beaucoup plus systématiques, le renforcement des ressources médicales et la découverte de traitements plus efficaces. M. Lascelles a affirmé : « Des progrès sont accomplis à tous ces égards, mais il reste du travail à faire. Ajoutons qu’il est impossible de dire avec exactitude pendant combien de temps les économies devront rester à l’arrêt. » Il a ajouté qu’il est concevable d’imaginer que les pays développés puissent amorcer un retour progressif au travail en se fondant sur un ensemble de quatre paramètres : a) les régions, selon la situation de chacune ; b) l’âge et l’état de santé de la population ; c) les personnes qui ont déjà contracté le virus et qui en sont guéries ; et d) l’élargissement graduel des emplois considérés comme essentiels.
- Troisième étape : procéder au redémarrage complet des économies, sans distanciation physique. M. Lascelles est d’avis qu’il faut à cette fin compter sur des traitements efficaces pour la COVID‑19 ou sur un vaccin proprement dit, tout en maintenant des mesures rigoureuses de dépistage des infections et de recherche des contacts.
- Quatrième étape : se préparer à la prochaine pandémie. Selon M. Lascelles, cette étape exigera la mise en place de systèmes et de mécanismes de sécurité qui préviendront la mise à l’arrêt de la vie quotidienne lors de la prochaine pandémie.
Ressources pour les recherches
Au Québec, les services de planification financière sont fournis par RBC Gestion de patrimoine Services Financiers. qui est autorisé comme une société de services financiers dans cette province. Dans le reste du Canada, les services de planification financière sont disponibles à travers RBC Dominion valeurs mobilières.