L’administration américaine a mis en place des tarifs douaniers généraux sur le Canada et le Mexique après un sursis de 30 jours. Ces tarifs s’élèvent à 25 % sur toutes les importations, à l’exception de 10 % sur l’énergie canadienne. Un tarif supplémentaire de 10 % sur la Chine est également prévu.
Le Canada a été frappé par le plus grand choc commercial de son histoire en près de 100 ans et a réagi rapidement en imposant des tarifs douaniers de 25 % sur 30 milliards de dollars de marchandises américaines, qui ont atteint 155 milliards de dollars en 21 jours. L’évolution des politiques commerciales et les réponses des gouvernements restent encore très incertaines, comme nous l’avons souligné dans nos premiers éléments économiques à retenir il y a un mois.
Cependant, alors que nous évaluons les conséquences de la mise en œuvre des tarifs douaniers sur nos prévisions, dont la publication est prévue la semaine prochaine, voici un résumé de ce que nous savons et que nous intégrons dans nos perspectives.
Absence de précédent pour un choc économique
Nous ne sommes pas en 2018 et nous avons une expérience limitée de choc commercial de cette ampleur. En 2018-2019, les politiques tarifaires ont fait passer le droit d’importation moyen de 1,5 % à environ 3 %. Au 4 mars, le taux tarifaire moyen a quadruplé pour s’établir à près de 12 %. Il s’agit du plus grand choc commercial pour les États-Unis et le Canada depuis les années 1930.
Fait intéressant, ces tarifs douaniers touchent deux fois plus d’importations américaines (Canada + Mexique = 30 %) que les tarifs douaniers visant uniquement la Chine (15 %). L’économie américaine, en particulier, subit un choc économique important depuis 2018 : les prix augmentent de 29 % par rapport au premier jour du mandat de Donald Trump il y a huit ans et nous soupçonnons que la sensibilité à l’inflation est bien plus élevée qu’à ce moment-là.
L’incidence est très variable en fonction de la durée
L’incidence finale de ces tarifs douaniers sur le Canada et les États-Unis dépendra de la durée de leur application et des mesures de représailles. Ce sont des décisions politiques difficiles à prévoir sur le plan économique. Les fluctuations des devises sont également essentielles, car elles peuvent atténuer une partie des effets sur l’inflation et la croissance des deux côtés de la frontière.
En ce qui concerne le calendrier, nous avons précédemment estimé que la croissance des économies canadienne et américaine connaîtrait une baisse importante pendant une période de trois à six mois. Les tarifs douaniers, s’ils sont appliqués pendant plus d’un an, devraient réduire le produit intérieur brut réel à zéro en 2025 et entraîner une contraction de 2 % en 2026, le sommet du taux de chômage dépassant 8 %.
Le secteur manufacturier du Canada, fortement intégré aux États-Unis (environ 10 % du PIB), est particulièrement vulnérable, tout comme les régions clés de l’Ontario et du Québec. L’Alberta et le Nouveau-Brunswick font également partie des provinces sensibles en raison de leur dépendance aux marchandises, mais le taux tarifaire plus faible laisse présager un ajustement plus facile. Encore une fois, ces scénarios reposent sur de nombreuses hypothèses concernant l’évolution des devises, les mesures de représailles, les réponses des banques centrales et les mesures budgétaires. Pour en savoir plus sur notre analyse de scénarios, cliquez ici.
Les dégâts sont déjà en cours
La menace des tarifs douaniers à elle seule a déjà suffi à entraîner des répercussions. Nous avons déjà constaté les signes annonciateurs du stockage par les importateurs américains avant la mise en œuvre des tarifs douaniers, comme le décrit notre Plan de match pour mesurer l’impact d’un choc tarifaire au Canada. Cette situation a aggravé le déficit commercial américain et a mécaniquement fait baisser les prévisions immédiates du PIB des États-Unis.
Entre-temps, l’incertitude atteint ou frôle des sommets historiques, ce qui pèsera sur les investissements des entreprises et l’embauche au Canada. Des sondages comme l’indice de l’industrie manufacturière ISM ont montré une forte hausse des attentes en matière de prix, ainsi qu’une baisse des nouvelles commandes et de l’emploi en février, une tendance à la stagflation qui devrait se refléter dans divers autres indicateurs en mars.
Un choc de stagflation aux États-Unis
Les préoccupations du Canada portent davantage sur la croissance, mais nous prévoyons que les États-Unis seront confrontés à l’incidence inflationniste des tarifs douaniers généraux. Si ces derniers sont maintenus, nous nous attendons à une hausse de l’inflation de base aux États-Unis de 0,5 à 1 point de pourcentage d’une année sur l’autre, qui la porterait à plus de 3 % d’ici la fin de 2025. Toutefois, la croissance devrait également être revue à la baisse. Selon nos prévisions, la croissance aux États-Unis devrait stagner en 2025, voire reculer si les tarifs douaniers touchent l’Europe ou le reste du monde. La croissance devrait aussi subir des conséquences importantes si les tarifs douaniers étaient maintenus pendant au moins six mois.
Cela dit, nous tablons sur un marché du travail très tendu et sur une pénurie de main-d’œuvre qui freinera l’augmentation du taux de chômage. Ce contexte compliquera considérablement le travail de la Réserve fédérale américaine, qui devra gérer un choc d’offre sur l’inflation qui pourrait ne pas réagir aux hausses des taux d’intérêt. À l’heure actuelle, nous prévoyons que la Fed adoptera une position d’attente en 2025, mais une nouvelle détérioration de la confiance ou de l’investissement pourrait accroître les probabilités d’autres réductions.
Soutien à court terme à venir
Les banques centrales et les gouvernements ont peut-être du temps. En effet, ils pourraient avoir besoin de temps pour élaborer des stratégies de réaction. La Banque du Canada n’a pas précisé comment elle réagirait à un choc tarifaire, attendant de voir si l’inflation ou la croissance dominerait. Sans tarifs douaniers, nous nous attendions à ce que la Banque du Canada réduise progressivement ses taux jusqu’à 2,25 %. Maintenant, nous estimons que plus longtemps les tarifs douaniers resteront en vigueur, plus il est probable que les taux baisseront plus rapidement et plus fortement.
Les mesures de relance provinciales et fédérales auront également leur importance. Un choc commercial prolongé signifie que les gouvernements devraient à la fois réagir à la récession immédiate et renforcer l’économie sous-jacente qui est mal placée pour absorber un tel choc. Un soutien ciblé contribuerait à compenser l’incidence sur la croissance, tandis que des transferts de fonds à grande échelle risquent d’entraîner une inflation qui compliquerait le travail de la Banque du Canada et limiterait sa marge de manœuvre budgétaire future. La prorogation des assemblées législatives au niveau fédéral et en Ontario donne aux décideurs plus de temps pour planifier leur réaction, et les mécanismes de stabilisation automatique comme l’assurance-emploi ou les programmes financiers d’État devraient permettre de répondre à de nombreuses préoccupations immédiates.
Solutions à moyen et long terme
Malgré les obstacles auxquels est confrontée l’économie canadienne, il existe des solutions à long terme pour faciliter la diversification des exportations et renforcer les facteurs de croissance intérieure. L’une d’entre elles est la reconnaissance par les États-Unis de l’importance des marchandises canadiennes. La baisse des tarifs douaniers sur l’énergie et les minéraux critiques canadiens montre à quel point le Canada est un acteur majeur au niveau mondial dans les secteurs du pétrole, du gaz, de la potasse, de l’agroalimentaire, de l’uranium et d’autres produits essentiels pour lesquels il est difficile de trouver des substituts. L’élargissement d’un partenariat transfrontalier dans ces domaines pourrait réorienter la relation, tout en favorisant une plus grande valeur ajoutée dans la manufacture et les services connexes, ainsi qu’une plus grande diversification du commerce.
Au Canada, on s’accorde de plus en plus à reconnaître l’urgence de s’attaquer aux obstacles structurels à la croissance, qu’il s’agisse des barrières commerciales interprovinciales, du retard des investissements des entreprises par rapport à leurs pairs ou des lourdes contraintes réglementaires. Il n’y a pas de solution facile aux tarifs douaniers américains. Ces problèmes ne pourront être résolus que progressivement, mais ils auront sans aucun doute des effets positifs sur l’économie canadienne.
Les perturbations commerciales devraient persister
Nous nous concentrons actuellement sur les tarifs douaniers généraux de 25 % sur les produits canadiens et mexicains, mais d’autres échéances liées au commerce sont à venir. Outre la mise en œuvre prévue le 12 mars des tarifs douaniers sur l’acier et l’aluminium annoncés précédemment, le 2 avril est la prochaine date butoir. L’administration américaine attend l’analyse commerciale de plusieurs agences pour soutenir les tarifs douaniers de réciprocité, et a déjà publié un avis pour recueillir les points de vue des parties prenantes sur l’AEUMC (l’ACEUM) avant la renégociation en juillet 2026. Les perturbations commerciales actuelles laissent présager une incertitude politique qui pèsera sur les investissements des entreprises dans les deux économies.
Cet article a été publié à l’origine le leadershipavise.rbc.com .
Sources : Oxford Economics, RBC Gestion mondiale d’actifs; données en date du 10 février 2025.
À notre avis, la politique commerciale devrait demeurer une source persistante de risque de détérioration des perspectives économiques. Même en l’absence de nouveaux tarifs douaniers, la simple imprévisibilité de la suite de la politique commerciale des États-Unis peut à elle seule nuire à l’activité économique au moyen des canaux de « confiance ». L’incertitude prolongée entourant la politique pourrait peser considérablement sur la confiance du secteur privé, ce qui inciterait les entreprises à reporter ou à réduire leurs investissements et les ménages à accroître leur épargne préventive en prévision de conditions économiques plus turbulentes. Cet essoufflement de la demande attribuable à la confiance pourrait ralentir la croissance même avant que les effets directs des tarifs douaniers ne se fassent sentir.