Pourquoi la Fed semble-t-elle avoir durci le ton ? Est-elle justifiée de le faire ?

09 mars 2023 | Atul Bhatia, CFA


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À la suite de l’annonce de la Fed concernant d’autres hausses de taux, nous analysons les perspectives de poursuite d’un resserrement vigoureux tout en nous demandant si la banque centrale ne fait pas fausse route.

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Cette semaine, lors de son allocution devant le Congrès des États‑Unis, le président de la Réserve fédérale, Jerome Powell, a adopté un ton plutôt ferme indiquant qu’il faudrait recourir à des taux d’intérêt plus élevés que prévu pour combattre l’inflation. Il ouvrait ainsi la porte à une hausse de 50 points de base (pb) au cours du mois, même si la banque centrale a fait marche arrière en décrétant une augmentation de 25 pb lors de sa réunion d’orientation de février.

Bien que les manchettes aient mis l’accent sur le niveau des taux d’intérêt et la suite de hausses de la Fed, nous pensons qu’en réalité, la banque centrale interrompra sans doute sa campagne d’augmentations au milieu de l’été. Nous pensons que le président de la Fed a eu raison de reconnaître que les données de janvier étaient plus fortes, mais qu’il aurait dû parler des compromis découlant d’une autre augmentation des taux. Nous espérons que cette omission n’était qu’un faux pas en matière de communication, mais sommes préoccupés par la possibilité qu’elle indique une volonté de hausser les taux bien au‑delà du plafond de 5,5 % que reflète le prix des contrats à terme sur taux d’intérêt.

Le mandat

La logique qui pousse la Fed à mettre l’accent sur les hausses de taux d’intérêt et sur le resserrement de sa politique est relativement simple. Son mandat est de maximiser l’emploi tout en veillant à ce que les prix demeurent stables. Les prix sont manifestement instables et l’emploi tourne à plein régime. Pour respecter son mandat, la Fed doit donc utiliser sa meilleure arme : les hausses de taux. Ces augmentations ne cesseront que lorsque la Fed aura atteint sa cible, soit une inflation de 2 %, ou sera irréversiblement en voie de le faire.

Ceux qui sont en faveur de hausses continues invoquent souvent la règle de Taylor. Cette ligne directrice des années 1990 tient compte des écarts entre les niveaux réels et souhaités de croissance économique et d’inflation pour déterminer quel est le taux directeur optimal. Selon la façon précise dont on la formule, la règle de Taylor justifierait actuellement des taux au jour le jour de 6,5 % et 7,75 % plutôt que de 4,75 %, comme c’est le cas aujourd’hui.

La règle de Taylor : fluctuations plus importantes et meilleure politique ?
Taux des fonds fédéraux
Taux des fonds fédéraux

Le graphique linéaire met en parallèle le taux des fonds fédéraux résultant d’une interprétation de la règle de Taylor et le taux des fonds fédéraux réel au cours de périodes trimestrielles allant de février 1961 à février 2023. Depuis le commencement de 2020, la divergence entre les deux paramètres est supérieure à ce qu’elle avait été depuis la fin des années 1970. Selon la règle de Taylor, le taux des fonds fédéraux devrait dépasser de presque 2 % son niveau actuel.


Règle de Taylor (implicite)

Taux réel

Sources : RBC Gestion de patrimoine, Réserve fédérale d’Atlanta ; données trimestrielles ; le taux des fonds fédéraux est le taux quotidien moyen au cours du trimestre précédent.

La réalité est plus nuancée

Théoriquement, la règle de Taylor est impressionnante. Il arrive toutefois qu’il soit impossible de la mettre en pratique. Nous pensons que nous traversons l’une de ces périodes.

Le risque extrême, c’est‑à‑dire celui que se produise un événement peu probable à forte incidence négative, constitue l’un des problèmes. Sur plusieurs plans, l’économie américaine ressemble à un moteur fonctionnant avec un seul piston. Parmi les quatre composantes du PIB, la consommation est celle qui est la principale source plausible de croissance. La balance nette des échanges commerciaux est trop infime pour avoir une importance pour les États‑Unis, le gouvernement, qui est divisé, a probablement mis de côté ses principales initiatives budgétaires, et le niveau élevé des taux d’intérêt et l’incertitude rendent improbable tout investissement important. Comme les taux hypothécaires sont trop élevés pour permettre un refinancement à grande échelle afin d’obtenir des liquidités, la consommation, et donc la croissance du PIB à court terme, repose en grande partie sur les revenus salariaux.

Pour la Fed, ce contexte est particulièrement préoccupant. Réduire l’inflation signifie ralentir la croissance des salaires, mais comme la croissance de l’ensemble de l’économie repose beaucoup sur cette unique variable, nous pensons que les décideurs politiques doivent éviter de prendre des mesures trop musclées susceptibles de provoquer une importante contraction économique, voire une déflation. Qu’entend‑on par mesures trop musclées ? Personne ne le sait avec certitude, car les modèles relatifs au marché du travail s’avèrent de moins en moins fiables depuis l’avènement de la pandémie. Pour les théoriciens, il peut être acceptable de courir un risque en se basant sur des modèles connus pour être biaisés, mais ceux qui ont de véritables responsabilités doivent faire preuve de mesure.

La poursuite de la hausse des taux présente d’autres inconvénients. Ces augmentations auront une incidence disproportionnée sur les petites entreprises et les ménages à faible revenu, qui dépendent de prêts bancaires et sur carte de crédit dont les taux fluctuent généralement en fonction du taux au jour le jour. Le fait de permettre aux grandes banques et aux ménages les plus fortunés de s’enrichir tout en balayant les coûts vers les segments moins bien nantis de la population constitue une pratique économique douteuse et une politique manifestement inefficace. Lorsqu’on pousse une petite entreprise à la faillite parce qu’elle n’a pas les moyens de faire des versements sur prêt, il en résulte des conséquences permanentes. Des signes indiquent déjà que le stress financier subi par certains ménages est intense : les emprunts sur cartes de crédit atteignent des niveaux records et la confiance des consommateurs à l’égard de leur avenir financier est à son degré le plus bas depuis au moins une décennie.

Augmentation des préoccupations financières des ménages
Un sondage national sur l’habitation indique une diminution de la confiance à l’égard de l’emploi et des finances
Confiance à l’égard de l’emploi et des finances

Le graphique linéaire indique entre février 2013 et février 2023 le pourcentage des répondants au sondage national sur l’habitation qui s’attendent à une amélioration de leurs finances personnelles au cours des 12 mois suivants, ainsi que le pourcentage net d’employés qui ne craignent pas de perdre leur emploi. L’optimisme à propos d’une amélioration des finances personnelles n’a jamais été aussi faible depuis au moins une décennie, tandis que l’indicateur net de la sécurité d’emploi a diminué de 15 points de pourcentage en février pour s’établir à un plancher sans précédent depuis 2013.


Pas de crainte de perte d’emploi (% net)

Amélioration prévue des finances personnelles

Sources : RBC Gestion de patrimoine, Bloomberg ; données basées sur les questions du sondage mensuel de Fanny Mae au sujet des attentes pour les 12 prochains mois.

Si l’on continue à augmenter les taux sans arrêt, il faudra également faire face à un autre enjeu une fois l’objectif atteint. Qu’arrivera‑t‑il lorsque l’inflation sera à 2 % ? La Fed fera‑t‑elle un virage à 180 degrés pour se mettre à réduire les taux aussi rapidement qu’elle les a augmentés ? La stabilité sur le plan des politiques est l’un des aspects qui rendent le dollar US attrayant à l’échelle mondiale en tant qu’instrument d’épargne, et des changements rapides de la trajectoire des taux d’intérêt pourraient avoir d’importantes répercussions, que ce soit à l’échelle locale ou sur la scène internationale.

Il est préférable d’adopter une approche équilibrée

Selon nous, la Fed approche du point où elle cessera de prioriser le niveau des taux pour plutôt mettre l’accent sur la longueur de la période au cours de laquelle ils demeureront élevés. Bien que le point culminant du taux directeur dépende de diverses données, nous pensons qu’il se situera à 5,5 %.

Les mesures que la Fed a prises jusqu’ici constituent une indication qu’elle pourrait bientôt faire une pause. Lors de sa réunion de février, la banque centrale a augmenté ses taux de 25 pb, ce qui est inférieur aux hausses de 75 et 50 pb qu’elle avait déjà décrétées. Nous pensons qu’à ce moment, elle avait l’intention de procéder à deux autres augmentations de 25 pb pour faire passer le taux à un point culminant de 5,25 %. L’important gain de 517 000 emplois non agricoles annoncé au mois de janvier pourrait pousser les responsables de la politique à augmenter encore un peu les taux, mais nous ne voyons aucune autre donnée, surtout si elles résultent principalement d’une désaisonnalisation douteuse, pouvant justifier plus qu’une dernière hausse, et encore.

Il est à noter qu’entre ses allocutions de mardi et de mercredi, le président de la Fed a modifié son discours pour souligner qu’aucune décision n’avait été prise en ce qui a trait au rythme des augmentations à venir, ce qui constitue un net recul par rapport aux commentaires qu’on lui attribuait au départ. Il est possible que les futures données relatives à l’emploi et à l’inflation poussent la banque centrale à opter pour une augmentation plus importante au mois de mars, mais la Fed disposera de bien plus d’information d’ici cet été, moment où, selon nous, elle sera prête à marquer une pause.

L’une des autres raisons qui pourraient amener la Fed à plafonner les taux autour de 5,5 % est que les effets de la politique monétaire se font sentir à retardement et que les données peuvent s’avérer perturbatrices, surtout près des points d’inflexion économiques. Nous pensons qu’une pause en milieu d’année permettrait à la politique de resserrement de produire toutes ses répercussions et se traduirait par la publication de données économiques qui le sont moins fréquemment, mais qui, selon nous, sont de meilleure qualité.

Coûts et bénéfices

L’allocation de M. Powell et sa couverture médiatique ont mis l’accent sur le risque d’une hausse des taux par rapport aux prévisions antérieures de la banque centrale. À notre avis, elle a failli à la tâche en ce qui concerne le débat sur les contre‑indications relatives à un resserrement excessif et la préparation du marché pour une pause, voire un arrêt, du présent cycle haussier, que nous considérons toujours comme probable.


Ressources pour les recherches 

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