Comment les marchés réagiront-ils à l’intensification des tensions géopolitiques ?

04 août 2022 | Kelly Bogdanova


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Les marchés ont tendance à absorber rapidement les effets des affrontements militaires, mais le réseau mondial complexe de relations financières transforme les discordances économiques en de grandes sources de risques.

La montée des tensions entre les États-Unis et la Chine au sujet de la visite controversée à Taïwan de la présidente de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, a ravivé les craintes de perturbations dans les marchés boursiers des principaux pays développés, compte tenu des risques géopolitiques et des affrontements militaires.

Taïwan et le conflit entre la Russie et l’Ukraine ne sont toutefois pas les seules grandes sources de risques de cette nature.

Au cours des derniers jours, des conflits ont éclaté dans deux régions où les États-Unis et l’OTAN, d’une part, et la Russie, d’autre part, ont des intérêts stratégiques contraires : dans les Balkans, entre la Serbie et le Kosovo, autoproclamé indépendant, et dans le Caucase, entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, au sujet du territoire contesté du Haut-Karabagh (appelé aussi « Artsakh »). En raison de la crise ukrainienne – que nous considérons comme une guerre indirecte entre l’OTAN et la Russie –, l’accentuation des risques dans les Balkans et le Caucase n’a rien d’étonnant à notre avis.

Depuis quelques mois, les tensions se sont également intensifiées entre Israël et l’Iran à propos du développement possible de capacités de fabrication d’armes nucléaires par ce dernier.

Les marchés absorbent habituellement les chocs d’une guerre

Par le passé, les affrontements militaires ont eu un effet relativement bref et limité sur les marchés boursiers, y compris à l’époque où les États-Unis et l’Union soviétique étaient engagés dans la dangereuse crise des missiles de Cuba.

L’indice S&P 500 a fléchi de 6,3 % en moyenne lors des 19 principaux conflits militaires ou heurts survenus depuis la Seconde Guerre mondiale que nous avons évalués. Sans être négligeable, cette baisse reste dans les limites du repli typique et modéré observé dans divers scénarios qui se sont déroulés sur les marchés, y compris en l’absence de risque militaire.

Notre analyse des différends géopolitiques passés montre que la réaction du marché n’a duré en moyenne que 29 jours, à la fin desquels il avait effacé les pertes subies. Le fait que certains événements ont duré plus longtemps, voire beaucoup plus longtemps, ne change rien.

Le conflit entre la Russie et l’Ukraine constitue un exemple classique. Nous estimons que l’indice S&P 500 a commencé à tenir compte des hostilités après le 10 février ; il a reculé de 7,4 % peu de temps après. Les répercussions de l’opération militaire ont toutefois cessé d’être ressenties sur le marché le 22 mars, jour où le S&P 500 a repris tout le terrain perdu depuis les premières hostilités. Le marché américain s’est ensuite préoccupé de la croissance économique intérieure, de l’inflation, de la croissance des bénéfices et du cycle de forte hausse des taux de la Réserve fédérale.

Certes, le conflit entre la Russie et l’Ukraine pourrait entraîner une autre liquidation sur le marché boursier si l’OTAN accentuait considérablement sa participation ou si les combats s’étendaient au-delà des frontières ukrainiennes en place depuis 2014 pour atteindre un autre pays de la région. Pour l’instant, les marchés ne semblent toutefois pas perturbés par les hostilités en cours en Ukraine.

En général, en présence de guerres et de graves risques géopolitiques, nous conseillons toujours aux investisseurs de présumer que de tels événements peuvent provoquer un repli temporaire des actions de 5 % à 10 % ou, parfois, une correction plus longue et plus marquée. Il ne s’agit là que de l’un des nombreux risques associés aux placements en actions.

Réactions de l’indice S&P 500 à diverses interventions militaires et hostilités depuis la Deuxième Guerre mondiale
Événements Date de début* Nbre de jours de bourse jusqu’au creux Variation en % jusqu’au creux Nbre de jours de bourse pour regagner le terrain perdu
Invasion de la Corée du Sud par la Corée du Nord 25 juin 1950 15 -12,9 % 56
Avion-espion américain abattu en URSS 7 mai 1960 2 -0,6 % 4
Débarquement de la Baie des cochons 15 avril 1961 6 -3.0% 14
Crise des missiles à Cuba 16 oct. 1962 6 -6,3 % 13
Incident du golfe du Tonkin (Vietnam) 2 août 1964 4 -2,2 % 29
Période précédant la guerre des Six Jours (6 juin) 14 mai 1967 15 -5.6% 20
Offensive du Tet (Vietnam) 29 janv. 1968 25 -6,0 % 46
Campagne cambodgienne (Vietnam) 1er mai 1970 18 -14,9 % 86
Guerre du Kippour, embargo pétrolier arabe 6 oct. 1973 42 -16,1 % 6 ans^
Guerre soviéto-afghane 24 déc. 1979 7 -2,3 % 10
Intervention à Grenade 25 oct. 1983 11 -2,8 % 15
Jours précédant l’intervention au Panama 15 déc. 1989 2 -2,2 % 8
Invasion du Koweït par l’Irak, occupation de champs pétroliers 2 août 1990 50 -15,9 % 131
Période précédant la guerre du Golfe (Tempête du désert) 1er janv. 1991 6 -5,7 % 13
Intervention en Yougoslavie (Balkans) 24 mars 1999 3 -4,1 % 11
Capture d’un avion-espion américain en Chine 1er avril 2001 3 -4,9 % 7
Guerre en Afghanistan 7 oct. 2001 1 -0,8 % 3
Période précédant la guerre en Irak 5 févr. 2003 24 -5,6 % 28
Intervention de la Russie en Ukraine 11 févr. 2022* 17 -7,4 % 27
Moyenne des 19 événements   14 -6,3 % 29

* La date reflète la tentative d’inclure toute répercussion importante sur le marché boursier avant l’événement. Les véritables dates de début des événements peuvent être différentes.

^ D’autres facteurs économiques et liés à la politique monétaire ont eu une incidence négative sur le nombre de jours qu’il a fallu au marché pour regagner le terrain perdu ; cela n’est pas pris en compte dans le nombre moyen de jours de bourse requis pour regagner le terrain perdu.

Sources : RBC Gestion de patrimoine, RBC Gestion mondiale d’actifs, Wikipédia, archives de la Sécurité nationale de l’Université George Washington, institut naval des États-Unis.

Le champ de bataille économique est une tout autre histoire

Les affrontements militaires et les conséquences économiques associées aux confrontations géoéconomiques sont des événements entrant dans des catégories bien différentes. Nous pensons qu’il faut tenir compte des conséquences économiques dans le contexte de Taïwan et de l’évolution récente de la situation avec la Russie.

Nous vivons à une époque où de nouveaux leviers économiques sont actionnés pour tenter d’empêcher des pays de poser certains gestes ou punir des pays de leur comportement.

Les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Union européenne ont recours de plus en plus souvent à ces leviers depuis 20 ans, ce qui a entraîné des milliers de sanctions contre la Russie, le plus grand producteur de marchandises au monde, et à la saisie de centaines de milliards de dollars dans ses réserves de devises.

Les dirigeants et décideurs politiques occidentaux ont mal évalué les conséquences possibles des sanctions contre la Russie. Ces sanctions ont beaucoup moins nui à l’économie de la Russie que prévu et elles ont eu un effet boomerang négatif sur les pays qui les ont imposées, surtout sur les économies et entreprises de l’Europe.

La crise européenne de l’énergie, exacerbée par les sanctions contre la Russie et les réactions asymétriques de cette dernière aux sanctions, n’est pas encore terminée. L’hiver approche, et la Russie peut encore actionner d’autres leviers économiques, notamment hors du secteur du gaz naturel. Si la crise liée aux sanctions persiste et que les prix de l’énergie et de l’électricité demeurent élevés pendant des mois en Europe, non seulement les conditions économiques de la région pourraient devenir plus fragiles, mais nous pensons aussi que l’Europe pourrait connaître une vague de désindustrialisation.

Nous croyons que les sanctions pourraient poser de plus grands risques pour les économies et les marchés financiers au fil du temps que les affrontements militaires, surtout quand elles s’adressent à des pays jouant des rôles cruciaux dans l’économie mondiale.

À notre avis, les points qui précèdent constituent la majorité des risques relatifs à l’économie et aux marchés en ce qui a trait à Taïwan. Si les tensions s’intensifient entre les États-Unis et la Chine à propos de Taïwan – qu’un conflit militaire surgisse ou non sur le terrain –, nous pensons que les risques d’une guerre de sanctions et de contre-sanctions néfastes entre les deux géants économiques peuvent grandement s’accentuer. Une telle confrontation pourrait avoir des répercussions sur les alliés des États-Unis qui emboîteront le pas.

Les marchés ont tendance à absorber assez rapidement les effets des affrontements militaires, mais les discordances économiques peuvent durer pendant bien des mois, sinon des années.

Dans sa mise à jour des Perspectives de l’économie mondiale en juillet 2022, le Fonds monétaire international (FMI) a énoncé une évidence. Il a insisté sur les risques graves à moyen terme d’une fragmentation de l’économie mondiale en blocs géopolitiques dont les normes technologiques, les systèmes de paiement transfrontaliers et les monnaies de réserve sont distincts. Le FMI a mentionné que les hostilités en Ukraine étaient à l’origine de ces risques, mais nous pensons qu’ils découlent directement de la guerre de sanctions entre l’Occident et la Russie.

Si la confrontation entre les États-Unis et la Chine à propos de Taïwan se propage à la sphère économique, nous pensons que les risques de fragmentation géoéconomique s’accroîtront de manière exponentielle.

La crise de la COVID-19 nous a appris que les pays sont étroitement liés par leurs relations commerciales et les chaînes logistiques. En outre, d’autres crises survenues au cours des décennies précédentes nous ont enseigné que les pays forment un réseau complexe de relations financières. Voilà comment a évolué le système économique mondial – qu’on le veuille ou non –, et la détérioration de ces relations peut avoir des conséquences négatives inattendues.


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