Un retour à une courbe des taux normale?

24 mai 2024 | Atul Bhatia, CFA


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L’inversion de la courbe des taux qui se poursuit ne semble pas cadrer avec les records enregistrés par les marchés boursiers et les prix élevés des marchandises. Nous examinons certaines des raisons pour lesquelles les investisseurs acceptent des...

Un retour à une courbe des taux normale?

La relation entre l’échéance et le taux de rendement d’une obligation est généralement positive – les échéances plus longues offrent des taux de rendement supérieurs. Cette relation semble logique; plus le laps de temps est long, plus l’incertitude est grande, ce qui, traditionnellement, s’est traduit par une prime pour les investisseurs. Comme la créativité n’est pas la plus grande force des intervenants du marché obligataire, cette référence de base voulant que les taux de rendement soient plus élevés pour les échéances plus longues est considérée comme la courbe « normale ».

Or, parfois, la relation habituelle est inversée, c’est-à-dire que les échéances à court terme commandent une prime de rendement, une situation qui est – sans surprise, voire dénuée d’imagination – appelée courbe des taux « inversée ». Il existe de nombreuses façons de définir les échéances à court terme et à long terme des obligations, mais l’une des plus courantes consiste à comparer les taux des titres du Trésor à 2 ans et à 10 ans. Selon cette mesure, la courbe est actuellement inversée de 45 points de base, les taux à 2 ans étant à 4,87 % et les taux à 10 ans, à 4,42 %.

Or, ce qui frappe davantage avec l’inversion actuelle n’est pas son ampleur, mais sa durée. La courbe des taux n’a pas été normale depuis presque 2 ans, dépassant le record précédent de 623 jours établi en 1978 et éclipsant l’inversion moyenne de 92 jours des cinquante dernières années.

Inversion de la courbe des taux : peu importante, mais durable
Différence entre les taux des obligations du Trésor américain à 10 ans et à 2 ans
Différence entre les taux des obligations du Trésor américain à 10 ans et à 2 ans

Le graphique linéaire montre la différence entre les taux des obligations du Trésor américain à 2 ans et à 10 ans (c’est-à-dire la courbe des taux à 2 ans et à 10 ans) depuis 1977. Les valeurs négatives représentent une « inversion » de la courbe des taux. L’inversion actuelle a commencé en juillet 2022 et a atteint un maximum d’environ -1 % au milieu de 2023. La plus forte inversion observée a atteint environ -2,4 % en 1980. L’inversion actuelle est la plus longue période continue de valeurs négatives en 50 ans.

Sources : RBC Gestion de patrimoine, Bloomberg

L’inversion de la courbe comme indicateur de récession

Les inversions de la courbe des taux sont surveillées de près en tant qu’indicateurs de récession, et il y a deux façons de faire le lien entre les ralentissements économiques et les écarts de taux.

Premièrement, les inversions reflètent des politiques monétaires excessivement restrictives. Dans ce contexte, la politique monétaire restrictive entraîne un ralentissement de la croissance, ce qui incite alors la Réserve fédérale américaine (Fed) à abaisser les taux. Ces réductions peuvent nuire aux investisseurs en obligations à court terme, car ils se voient forcés de réinvestir à ces taux futurs inférieurs. Ce risque lié aux renouvellements rend les obligations à long terme plus attrayantes, ce qui fait grimper les prix et baisser les taux de rendement des obligations à 10 ans.

Le deuxième lien entre l’inversion de la courbe des taux et le ralentissement de l’activité économique découle du rendement des différentes catégories d’actifs. Dans un contexte de ralentissement de l’économie, les actifs sensibles à la croissance, comme les actions, peuvent connaître des difficultés, tandis que les titres à revenu fixe offrent aux investisseurs des flux de trésorerie plus stables.

Évolution de la réflexion sur les facteurs d’inversion

Selon nous, ces deux explications ont joué un rôle dans l’inversion actuelle. À divers degrés, les prévisionnistes des secteurs privé et public ont évoqué des risques élevés de récession au cours des deux dernières années, ce qui a rendu les échéances à long terme plus attrayantes. Les investisseurs ont aussi parfois émis des prévisions assez audacieuses à l’égard des réductions de taux de la Fed, surtout à la fin de l’année dernière et au début de cette année.

Toutefois, ni l’une ni l’autre de ces opinions ne semblent particulièrement pertinentes en ce moment. Les cours boursiers atteignent ou frôlent des sommets records, tandis que les marchandises sensibles à la croissance brillent depuis le début de l’année. Le cuivre, par exemple, a progressé de près de 25 % en 2024. Selon nous, ce type de rendement ne cadre pas avec l’idée selon laquelle les investisseurs s’attendent à une récession à court terme ou à un ralentissement prononcé de la croissance.

Les signaux des produits de base et des actions semblent diverger de la courbe des taux
Rendement de l’indice Bloomberg des produits de base et de l’indice S&P 500, ainsi que l’écart de taux des obligations du Trésor américain à 2 ans et à 10 ans depuis 2020

Le graphique linéaire montre le rendement de l’indice Bloomberg des produits de base et de l’indice S&P 500, ainsi que l’écart de taux des obligations du Trésor américain à 2 ans et à 10 ans depuis 2020, tous normalisés à 100 en mai 2020. Les indices des produits de base et boursiers ont augmenté, tandis que l’écart de taux des obligations du Trésor reste inférieur à son niveau de mai 2020.


Indice Bloomberg des produits de base

Indice S&P 500

Courbe des taux des titres du Trésor à 2 ans et à 10 ans

Rendement normalisé au 22 mai 2020 = 100.

Sources : RBC Gestion de patrimoine, Bloomberg

Du côté de la politique monétaire, en janvier dernier, les contrats à terme sur taux d’intérêt intégraient six réductions de taux. Pour cette raison, le processus de normalisation de la courbe des taux était assez simple – la Fed allait faire tout le travail et ramener les taux à court terme sous les taux à long terme.

Toutefois, ce calcul ne fonctionne plus aussi bien. RBC Marchés des Capitaux ne prévoit que trois réductions de taux pour le présent cycle, par exemple, et plusieurs membres de la Fed ont déjà souligné la possibilité que ce cycle de réduction de taux laisse les taux à des niveaux plus élevés qu’après la crise financière mondiale. Si ces prévisions s’avèrent, les taux à court terme pourraient ne pas reculer assez pour permettre une normalisation simple de la courbe.

Pas normal, mais pas nécessairement mal

Compte tenu de ces indicateurs d’une croissance plus vigoureuse et de taux à court terme élevés pendant plus longtemps, nous pourrions nous attendre à ce que les taux à 10 ans augmentent, ce qui rétablirait la relation habituelle entre les échéances à long terme et les taux plus élevés. Ce n’est toutefois pas ce que l’on voit; ni ce que nous verrons dans un avenir rapproché, à en croire les cours des obligations actuels. La dynamique actuelle entre les taux et les échéances implique environ deux autres années d’inversion de la relation entre les taux à 2 ans et ceux à 10 ans.

L’une des raisons, selon nous, est le niveau absolu relativement élevé des taux de rendement des obligations. Les indices des obligations de sociétés de grande qualité offrent un rendement supérieur à 5,7 %, tandis que certaines obligations municipales offrent un taux de rendement équivalent imposable de près de 7,5 %, selon le statut fiscal de l’investisseur. Pour ceux qui investissent à plus long terme, il peut être intéressant de profiter de ce type de rendement, en particulier pour une partie du portefeuille qui est souvent considérée comme un simple contrepoids aux actions.

Les risques asymétriques liés à la détention d’obligations à long terme s’ajoutent au niveau de rendement. Les récents commentaires de la Fed ont mis en évidence les obstacles importants qui l’empêchent de reprendre les hausses de taux, tandis que l’inflation est alimentée par un groupe de composantes de plus en plus restreint. Parallèlement, les données sur le marché de l’emploi ont commencé à montrer des failles. Cela s’explique par le fait que les ménages à revenu bas ont épuisé leur épargne et accumulé des dettes, ce qui les rend fortement tributaires du revenu qu’ils tirent de leur salaire. La combinaison des risques de baisse de la croissance et de la réticence de la Fed à relever les taux pourrait favoriser les prix des obligations à long terme.

Les risques liés à l’inflation et à la politique monétaire persistent, et nous ne voulons pas laisser entendre que détenir des obligations est sans risque – chaque échéance comporte un risque. Nous croyons toutefois que les investisseurs pourraient raisonnablement conclure que le prix des obligations à long terme mérite une prime à la lumière des taux élevés actuels et des tendances des données économiques.

Une dernière conséquence de l’inversion de la courbe des taux, selon nous, est qu’elle assure aux investisseurs que les États-Unis pourront financer leurs déficits budgétaires dans un avenir immédiat. À tort ou à raison, les investisseurs paient actuellement une prime pour prêter aux États-Unis pendant plus longtemps. Cette conjoncture est de bon augure pour la capacité du marché à absorber l’importante quantité d’obligations que les États-Unis envisagent de vendre.

Retour vers le futur?

Selon nous, l’inversion actuelle est le fait de deux réalités : l’incertitude économique demeure élevée, et les taux de rendement à court terme sont dictés ou grandement influencés par une institution gouvernementale, tandis que les taux à plus long terme sont dictés par le marché. Cette combinaison peut entraîner la perturbation (ce qui s’est produit, selon nous) de relations historiques auparavant durables, car la Fed se concentre sur un nombre relativement restreint de facteurs à court terme et le marché prend en compte un large éventail de scénarios à long terme. Cependant, nous pensons que les investisseurs renoueront (éventuellement) avec leur comportement habituel, soit de demander des taux de rendement supérieurs pour les échéances à long terme, et la courbe des taux se normalisera.


Ressources pour les recherches 

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