La certitude d’une politique incertaine

01 juin 2023 | Atul Bhatia, CFA


Partager

Les récents événements ont braqué un éclairage peu flatteur sur les décideurs américains, qu’il s’agisse du gouvernement, du Congrès ou de la Fed. Quelles erreurs ont-ils commises et comment peuvent-ils rectifier le tir ?

federal building in the fog

En juillet 2012, la zone euro était en crise. Les grands déséquilibres budgétaires avaient entraîné une hausse des taux des obligations, alimentant les craintes d’un démantèlement de l’union monétaire. Au plus fort de la crise, Mario Draghi, président de la Banque centrale européenne (BCE) à l’époque, avait prononcé cette phrase célèbre : « Dans le cadre de son mandat, la BCE est prête à faire tout ce qu’il faudra pour préserver l’euro. Et croyez-moi, ce sera suffisant. » M. Draghi, de concert avec les dirigeants politiques, avait joint le geste à la parole en mettant en œuvre des politiques concrètes pour stabiliser les marchés. Ces mesures ont porté leurs fruits, l’euro s’est stabilisé et la crise a pris fin.

En 2008, les responsables américains n’ont pas tenu des propos aussi marquants, mais ils ont suivi la même stratégie : établir des objectifs précis et prendre des mesures décisives dans le but clair de mettre fin à la crise.

Malheureusement, nous croyons que les responsables américains ont depuis oublié ces leçons fondamentales. D’après nous, leurs dernières actions ont plutôt accentué l’incertitude et peut-être créé des risques pour l’avenir. Nous croyons que les décideurs ont encore largement le temps de corriger la situation. Nous pensons toutefois que les investisseurs doivent prendre conscience des conséquences à long terme de ce qui, à notre avis, constitue des erreurs de politique.

Avant tout, ne causer aucun tort

Après la faillite de Silicon Valley Bank (SVB) au début de mars, la Réserve fédérale (Fed) a annoncé la création du programme de financement à terme bancaire. Ce programme permet aux banques d’emprunter sur la valeur nominale de leurs placements en obligations d’État, plutôt que sur leur valeur marchande courante. La différence entre la valeur marchande et la valeur de rachat des obligations que détenait SVB explique en grande partie l’effondrement rapide de la banque.

Pour certains, cette décision rappelait l’intervention de la Fed en 2008, à savoir de discrètes mesures politiques pour montrer sa détermination au marché. La banque centrale voulait faire savoir aux investisseurs qu’elle ne laisserait pas les banques faire faillite dans la mesure où leur équipe de direction avait pris de bonnes décisions de crédit. Après tout, les banques centrales ont été créées en partie pour éviter ce type de faillites en offrant des liquidités d’urgence garanties par des actifs robustes.

D’autres ont pensé que la banque centrale ne respectait plus son mandat et qu’elle avait agi par opportunisme, motivée par la nécessité de publier un communiqué de presse, au lieu de réagir après mûre réflexion.

Comme beaucoup d’investisseurs, nous penchions pour la première interprétation. Et nous avions tort.

La mauvaise interprétation des actions de la Fed est devenue évidente au moment de la faillite de First Republic Bank. Cette dernière, tout comme SVB, détenait des actifs dont la valeur a chuté sous l’effet de la hausse des taux d’intérêt. Par contre, au lieu de contenir des obligations d’État, son portefeuille était fortement axé sur les prêts hypothécaires résidentiels. Le risque de portefeuille était-il différent, entre les obligations d’État détenues par SBV et les prêts hypothécaires détenus par First Republic (des prêts assortis de garanties excédentaires, accordés à des ménages fortunés présentant d’excellentes cotes de solvabilité) ? Absolument. La différence était-elle si frappante que les placements en obligations de SVB justifiaient sans aucun doute le sauvetage spécial de la Fed, mais qu’au vu de son portefeuille de prêts hypothécaires, First Republic méritait tout aussi clairement de faire faillite ? Il est difficile de trancher, à notre avis.

La Fed n’a pas réussi à expliquer au marché cette tentative de leurre apparent ; le fait de sauver certaines institutions ayant pris des décisions de crédit sensées et d’en abandonner d’autres met sa crédibilité en péril. Nous redoutons que lors de la prochaine crise, qui ne manquera pas de se produire, les investisseurs s’intéressent davantage aux subtilités des programmes de la Fed, au lieu d’y voir une volonté de faire tout ce qu’il faudra.

La décision de la Fed de limiter le financement à terme réduit la participation et engendre de plus vastes conséquences
Programme de financement à terme bancaire de la Réserve fédérale

Le graphique linéaire montre l’utilisation du programme de financement à terme bancaire de la Réserve fédérale, en valeur absolue et relative. Elle est passée de 11 milliards de dollars le 15 mars 2023 à 91 milliards de dollars le 24 mai 2023, et sa part en pourcentage de la totalité des actifs de la Fed a augmenté de 0,14 % à 1,09 %. Le graphique superpose cette croissance au déclin du cours de l’action de First Republic, de 122 $ le 1er mars 2023 à 0,30 $ le 24 mai 2023.


Programme de financement à terme bancaire de la Fed, en G$ (g.)

Cours de l’action de First Republic, en USD (g.)

Financement à terme en % des actifs totaux de la Fed (dr.)

Sources : RBC Gestion de patrimoine, Bloomberg ; données prises en compte jusqu’au 24 mai 2023.

Du changement dans l’air

À notre avis, les responsables du Trésor ont commis une faute encore plus grave lorsqu’ils ont géré les conséquences de la faillite de SVB. Les responsables gouvernementaux ont pris soin de souligner que les investisseurs ne recevraient aucune aide alors que les déposants ont obtenu une protection rétroactive pour des millions de dollars d’actifs non assurés.

Soyons clairs, les arguments soutenant la position du gouvernement sont extrêmement solides. Nous croyons que les investisseurs devraient assumer les conséquences de leurs décisions. En outre, les sauvetages créent un aléa de moralité et sèment souvent les germes de la prochaine crise.

En revanche, nous pensons aussi que la position du gouvernement dévie des attentes raisonnables actuelles des investisseurs. Lors de la crise financière de 2008, les investisseurs de la plupart des institutions bancaires n’ont subi aucune perte permanente alors que le gouvernement a injecté des milliards de dollars pour soutenir le système financier. Nous craignons que les décideurs n’aient omis de tenir compte des conséquences de leur nouvelle attitude.

Une perte totale étant désormais possible, les investisseurs pourraient raisonnablement exiger des rendements en revenu plus élevés pour leurs placements dans les établissements bancaires autres que de dépôt. Ils chercheront probablement des manières de liquider rapidement leurs actifs si les craintes s’accentuent. Les banques peuvent évidemment verser des coupons plus élevés pour leurs obligations afin d’attirer les investisseurs. Mais une telle hausse serait-elle acceptable du point de vue financier ? Après tout, les banques seront un jour ou l’autre obligées d’emprunter à des taux plus élevés pour rembourser les porteurs d’obligations. Dans une certaine mesure, elles décideront sans doute que l’apport de fonds additionnels ne se justifie pas. Elles seront alors contraintes de réduire considérablement leurs activités de prêt. Des ventes rapides peuvent s’avérer fondées pour un investisseur individuel, mais elles peuvent aussi amplifier et propager plus rapidement les problèmes mineurs.

Nous craignons que le département du Trésor, en annonçant qu’il n’y aurait pas de sauvetages, ait créé des conditions nuisant à l’atteinte de son objectif global, qui est d’assurer la stabilité et la résilience du système bancaire. Nous sommes convaincus que les organismes de réglementation et les législateurs proposeront tôt ou tard un plan cohérent, mais nous sommes préoccupés par le manque de prévoyance dans les déclarations sur les politiques.

Les avantages d’une prévisibilité ennuyeuse

Les erreurs de politique ne se limitent pas au secteur bancaire. La tourmente associée au relèvement du plafond de la dette des États-Unis n’a rien eu de bénéfique pour l’économie ou les investisseurs, à notre avis.

Peu importe les convictions politiques de chacun, nous pensons que les récents événements ont affaibli le processus d’élaboration de la politique budgétaire. Même si l’actuelle ronde de négociation mène à de sages décisions budgétaires – et nous ne prenons pas position sur ce sujet –, le fait de pouvoir modifier le budget du gouvernement en profondeur, rapidement, et de manière opaque et difficilement prévisible ne profite à personne.

Par exemple, les prochains relèvements du plafond de la dette s’accompagneront-ils d’importantes hausses de l’impôt sur le revenu des particuliers et des entreprises ? De nouvelles exigences liées aux permis seront-elles introduites lors de futures négociations ? Les investisseurs, les particuliers et les sociétés organisent leur vie financière en fonction d’attentes raisonnables quant aux règles du jeu. La stabilité et la prévisibilité ont une véritable valeur, et celle-ci a perdu de son lustre, à notre avis.

Le poids des mots

L’outil le plus puissant dont disposent les décideurs est leur capacité à influencer les investisseurs et l’économie en faisant connaître leurs intentions. Et la puissance de ces déclarations dépend de leur crédibilité. Nous craignons que les derniers événements aient braqué un éclairage peu flatteur sur les décideurs américains, remettant en question leur engagement – et la capacité de prévoyance – lorsqu’ils doivent prendre des décisions cruciales.


Ressources pour les recherches 

Déclarations exigées 

Au Québec, les services de planification financière sont fournis par RBC Gestion de patrimoine Services Financiers. qui est autorisé comme une société de services financiers dans cette province. Dans le reste du Canada, les services de planification financière sont disponibles à travers RBC Dominion valeurs mobilières.