Une vague d’élections aux quatre coins de la planète

06 mars 2024 | Frédérique Carrier


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L’année 2024 représente un cas rare d’alignement des planètes : près de la moitié de la population mondiale se rendra aux urnes.

A worldwide wave of elections

Points clés
  • Dans le passé, les élections qui ont eu une incidence importante sur l’économie et les marchés financiers d’un pays ont été celles au cours desquelles le gouvernement élu a mis en œuvre un vaste programme de réformes structurelles, modifié ses politiques budgétaires ou monétaires ou restructuré ses relations internationales.
  • Dans les marchés émergents, nous croyons que les résultats des élections de cette année influeront de façon importante sur les réformes en cours et la stabilité économique. Pour certains, le déroulement des élections pourrait accélérer l’éclatement de l’ordre mondial d’après la Guerre froide.
  • Dans les marchés développés, à ce stade-ci, un gouvernement centriste semble susceptible, selon nous, de remporter les prochaines élections générales au Royaume-Uni, tandis que le vote pour le Parlement européen pourrait donner aux nationalistes populistes une voix plus forte, menaçant davantage la cohésion de l’Union européenne.

Les élections changent-elles la donne?

De temps à autre, les élections provoquent des contrecoups profonds à long terme sur les économies et les marchés financiers. En particulier, celles où un gouvernement élu a promis de vastes changements économiques. En voici des exemples :

  • L’élection en 1979 de la première ministre du Royaume-Uni, Margaret Thatcher, a entraîné la privatisation de sociétés d’État, la déréglementation du système financier et la réforme du marché du travail, ce qui a d’abord aggravé le long ralentissement économique du pays, mais a ultimement transformé sa structure économique.
  • L’élection de 1994 au Brésil a entraîné une transformation de l’orthodoxie de la politique monétaire de sa banque centrale, ce qui a aidé à contenir l’hyperinflation qui accablait le pays depuis des années.

L’amélioration subséquente des deux économies a ouvert la voie à des séquences haussières durables de leurs marchés boursiers respectifs.

Nous avons également vu comment les élections ont bouleversé les relations internationales, qu’il s’agisse de politique étrangère ou de commerce. En voici des exemples :

  • Après l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis en 2016, son administration a imposé une série de tarifs douaniers à compter de 2018, ce qui a déclenché une guerre commerciale avec la Chine et contribué à la rupture de l’ordre mondial d’après la Guerre froide. Un contexte géopolitique glacial, entre autres facteurs, pourrait avoir contribué à la contre‑performance des actions chinoises par rapport aux actions américaines depuis.
Après l’imposition de tarifs douaniers, la contribution des importations en provenance de Chine a diminué
Importations américaines en provenance de la Chine en pourcentage du total
Importations américaines en provenance de la Chine en pourcentage du total

Graphique à barres montrant les importations américaines de Chine en pourcentage des importations totales pour la période de 2011 à 2022. En 2011, les importations américaines de Chine représentaient 18,4 % du total. Le pourcentage a atteint un sommet de 21,9 % en 2017 et diminue depuis. En 2022, les importations américaines en provenance de la Chine représentaient 18 % du total, une contribution moins importante qu’en 2011.

Source : Banque mondiale.

Toutefois, les promesses électorales de changement ne signifient pas que le résultat des élections sera suffisamment important pour modifier fondamentalement l’économie et les marchés. Les gouvernements ont généralement besoin de la capacité de mettre en œuvre ces changements au moyen d’une majorité législative. Il est beaucoup plus facile d’y arriver dans des pays qui ne comptent que deux grands partis politiques, comme les États‑Unis, le Royaume-Uni et l’Inde.

Les pays où plusieurs partis se disputent l’électorat finissent souvent par former des gouvernements de coalition, ce qui est la norme dans de nombreux pays européens. Pour mettre en œuvre les changements avec succès et efficacité, il est préférable que la coalition partage des idéologies politiques communes. Les coalitions qui ont des points de vue divergents ou qui sont formées principalement pour renverser le parti au pouvoir ont tendance à être instables et ont de piètres feuilles de route en matière de changements importants.

En l’absence de moyens pour apporter des changements, les propositions grandioses peuvent être diluées ou ne jamais devenir réalité.

  • Javier Milei, le soi-disant « capitaliste anarchiste » élu président de l’Argentine en novembre 2023, en est un bon exemple. Il a promis des mesures économiques draconiennes, notamment la réduction de 15 % des dépenses publiques, l’abolition de la banque centrale du pays et l’adoption du dollar américain comme monnaie légale du pays. Mais son parti ne contrôle qu’environ le quart des sièges dans chaque chambre du Congrès, ce qui rend difficile l’adoption d’une loi.

Le cycle électoral de 2024 annonce-t-il d’importants changements?

Rares sont les élections de 2024 qui seront probablement aussi cruciales que celles décrites ci-dessus. Après tout, de nombreux pays ont déjà mis en place des programmes de réformes de grande envergure, et la plupart des banques centrales sont maintenant indépendantes et ont démontré leur utilité en prenant des mesures radicales pour réduire l’inflation. Néanmoins, l’issue des élections de cette année aura des répercussions cruciales sur les programmes de réformes en cours, la stabilité économique et les relations internationales, selon nous.

À surveiller

Marchés émergents

Selon le Fonds monétaire international (FMI), les économies émergentes généreront plus de 60 % de la croissance du PIB mondial au cours des cinq prochaines années. Nous croyons donc qu’il est plus important que jamais de comprendre comment certaines ls élections de cette année peuvent influer sur les perspectives des économies émergentes.

La Chine et l’Inde devraient être les principaux moteurs de croissance du PIB au cours des cinq prochaines années
Part de la croissance du PIB mondial de 2023 à 2028
Part de la croissance du PIB mondial de 2023 à 2028

Graphique à barres montrant la part de croissance du PIB mondial de divers pays de 2023 à 2028. La Chine sera le pays ayant le plus contribué au rendement, ce qui représente près du quart de la croissance du PIB mondial au cours de la période, la part de l’Inde s’établissant à 16 %. Cela se compare à un apport des États-Unis d’un peu moins de 10 % de la croissance du PIB mondial. Dans l’ensemble, si l’on tient compte de toutes les contributions des économies émergentes, elles représenteront plus de 60 % de la croissance du PIB mondial entre 2023 et 2028.

Remarque : Selon les prévisions du FMI de 2023 à 2028

Sources : Fonds monétaire international (FMI), Perspectives de l’économie mondiale, octobre 2023; Macrobond, RBC Gestion mondiale d’actifs

De nombreux pays, comme l’Indonésie et l’Inde, ont assez récemment adopté des réformes, mais nous pensons qu’ils ont encore beaucoup à faire. À notre avis, la question de savoir si les gouvernements élus resteront engagés dans de tels efforts déterminera probablement si ces pays peuvent maintenir une trajectoire de croissance.

Pour certains pays, comme le Pakistan et le Sri Lanka, qui ont récemment signé des ententes de financement avec le FMI, nous croyons que le maintien de l’orthodoxie économique est essentiel pour favoriser la stabilité économique.

Enfin, les résultats électoraux à Taïwan, au Bangladesh, au Mexique et au Venezuela auront des conséquences sur les relations internationales.

Ci-dessous, nous nous concentrons sur deux pays, l’Inde, en raison de son rôle de plus en plus déterminant dans l’économie mondiale, et l’Afrique du Sud, car le Congrès national africain au pouvoir pourrait perdre sa majorité, ce qui pourrait provoquer des remous sur les marchés financiers.

Inde – Restera-t-elle la favorite des investisseurs dans les marchés émergents?

L’Inde devrait être le deuxième plus grand contributeur à la croissance économique mondiale au cours des cinq prochaines années, après la Chine, et elle a graduellement ouvert son économie aux investisseurs étrangers. Par ailleurs, les obligations d’État indiennes ont récemment été intégrées à l’indice des obligations mondiales diversifiées des marchés émergents, un indice de référence clé.

Polina Kurdyavko, chef de RBC BlueBay Emerging Markets, attribue le nouveau rôle de l’Inde dans l’économie mondiale à plusieurs facteurs :

  • La neutralité relative du pays dans un contexte de conflits mondiaux; l’Inde est membre du groupe BRICS (avec le Brésil, la Russie, la Chine et l’Afrique du Sud) et du Dialogue quadrilatéral sur la sécurité mené par les États-Unis, communément appelé le « Quad », avec le Japon et l’Australie.
  • Sa stabilité politique relative.
  • La proximité avec le Moyen-Orient et l’amélioration des relations avec l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et l’Égypte ont contribué à faire de l’Inde une nouvelle puissance régionale.
  • Des niveaux élevés d’emploi, 70 % de la population travaille et les coûts de main-d’œuvre sont maintenant inférieurs à ceux de la Chine. L’Inde peut ainsi offrir des solutions aux pays aux prises avec de récentes pénuries de main-d’œuvre en augmentant sa capacité manufacturière, en atténuant les goulots d’étranglement dans la chaîne d’approvisionnement et en comblant les pénuries de main-d’œuvre.

Entre avril et juin, jusqu’à 945 millions d’électeurs indiens admissibles se rendront aux urnes dans le cadre du plus grand événement démocratique de l’histoire. Le gouvernement central sera formé par le ou les partis qui obtiendront la majorité à la Chambre basse du parlement de 543 sièges (Lok Sabha). L’élection semble susceptible d’assurer la continuité de la direction du pays.

Selon Morning Consult, une société de recherche sur les marchés, le premier ministre Narendra Modi a obtenu une note d’approbation de 77 %, soit le niveau le plus élevé de tout dirigeant élu démocratiquement dans le monde, même s’il a déjà rempli deux mandats.

Le parcours modeste et la feuille de route économique de Modi sont attrayants pour l’électorat. Son gouvernement a supervisé un vaste programme de réforme de l’offre qui comprenait :

  • Un large programme de recapitalisation des banques et un nouveau code de faillite (dans le premier mandat de Modi).
  • Des réformes de la main-d’œuvre et un nouveau système d’identification numérique qui a permis les paiements numériques et les plateformes de gestion de données (dans son deuxième mandat). Ces initiatives ont donné à la plupart des Indiens un accès à des services publics et facilité la réception de transferts de fonds publics populaires.

Soutenue par les réformes, l’économie indienne a progressé à un rythme enviable de près de 6 % par année en moyenne au cours de ses mandats. De même, le marché boursier a progressé de plus de 200 % depuis son élection en 2014.

Selon nous, d’autres réformes structurelles graduelles sont nécessaires pour que l’Inde maintienne son élan économique. La création d’emplois demeure faible, et un pourcentage important de la population est sous-employé. Les niveaux de scolarité demeurent inadéquats pour une puissance économique en devenir.

Nous croyons qu’il est important qu’un gouvernement stable avec une majorité parlementaire fonctionnelle émerge de l’élection, qu’il s’agisse d’une majorité d’un seul parti ou d’une solide coalition. Ce résultat augmenterait les chances que les réformes soient confrontées à peu d’obstacles dans le Lok Sabha, qu’elles soient mises en œuvre efficacement et qu’elles entraînent une croissance économique vigoureuse au cours des prochaines années. Autrement, nous pensons que la confiance des investisseurs étrangers pourrait être ébranlée et entraîner des sorties de capitaux.

Afrique du Sud – Un terrain incertain

À l’approche des élections générales en mai, l’Afrique du Sud est confrontée à de nombreux défis, et nous croyons que le résultat pourrait engendrer d’autres perturbations. En particulier, comme l’écart entre les obligations d’État à 10 ans d’Afrique du Sud et les obligations du Trésor américain a atteint un sommet inégalé en 20 ans en 2023, nous surveillons de près cette élection. Selon nous, un résultat qui entraîne l’abandon de la rectitude budgétaire et monétaire pourrait perturber les marchés financiers.

Après une crise énergétique paralysante, le Congrès national africain au pouvoir sous la présidence de Cyril Ramaphosa pourrait perdre sa majorité pour la première fois en 27 ans. En 2023, le service d’électricité détenu par l’État a été incapable de fournir près de la moitié de sa capacité de production potentielle aux consommateurs, provoquant des pannes d’électricité qui continuent d’accabler le pays.

Si le Congrès national africain forme une coalition avec le parti de gauche Combattants pour la liberté économique, il pourrait exercer des pressions sur la Banque de réserve sud-africaine, l’une des rares banques centrales non indépendantes, pour qu’elle abandonne sa lutte acharnée contre l’inflation. De plus, nous sommes d’avis qu’il est moins probable que des mesures d’assainissement budgétaire grandement nécessaires visant à contenir les déficits budgétaires soient mises en œuvre. Compte tenu de la politique monétaire et budgétaire expansionniste, les préoccupations concernant les risques liés à la dette souveraine nationale, déjà élevées, pourraient s’accentuer et les écarts de taux pourraient s’élargir davantage, provoquant des inquiétudes sur les marchés financiers.

Le niveau d’endettement de l’Afrique du Sud est passé de moins de 30 % du PIB avant la crise financière mondiale à 70 % dernièrement. Ce niveau est encore plus élevé si l’on tient compte des sociétés d’État.

Marchés développés

Parmi les économies développées (à l’exception des États-Unis), les élections générales au Royaume-Uni et parlementaires en Europe devraient retenir l’attention. Après avoir frôlé le populisme et le nationalisme depuis le référendum sur le Brexit, nous croyons que le Royaume-Uni semble prêt à adopter un gouvernement plus centriste.

Royaume-Uni – Des vents de changement?

Au Royaume-Uni, les sondages indiquent nettement qu’un gouvernement travailliste devrait prendre le pouvoir, le parti ayant obtenu une avance de 20 % sur les conservateurs depuis plus d’un an.

Le dirigeant travailliste sir Keir Starmer a fait grand cas de sa volonté de ramener l’économie britannique sur la voie de la croissance. Toutefois, comme les politiques budgétaires et monétaires sont serrées, tout nouveau gouvernement aura peu de marge de manœuvre, selon nous, étant donné que le déficit du Royaume-Uni représente plus de 5 % du PIB et que la Banque d’Angleterre poursuit sa lutte contre l’inflation. S’il est élu, M. Starmer pourrait aborder la question de la relation avec l’UE, qui demeure le principal partenaire commercial du pays.

Au cours des derniers mois, l’UE s’est montrée disposée à s’engager avec le Royaume-Uni d’une manière plus souple, c’est-à-dire sans exiger des discussions concernant la réintégration du marché unique ou de l’Union douanière de l’UE. En juillet 2023, conscients que le contexte géopolitique s’était considérablement assombri au cours des dernières années, les dirigeants de l’UE ont soulevé l’idée d’une collaboration formelle sur les enjeux mondiaux avec son ancien membre.

En tant qu’ingénieur du Brexit, le gouvernement conservateur a refusé cette offre. Mais un gouvernement travailliste pourrait être plus ouvert à une collaboration accrue dans des domaines d’intérêt mutuel. Par exemple, des accords comme celui sur la liberté de mouvement entre le Royaume-Uni et l’Union européenne pourraient être une bénédiction pour l’économie et le marché boursier britanniques en difficulté, qui ont subi d’importantes sorties de capitaux depuis le référendum sur le Brexit.

Élections au Parlement européen – Voix de droite radicale et populistes anti-pouvoir plus fortes

Sur trois jours à compter du 6 juin, 450 millions d’Européens éliront 750 représentants pour le prochain Parlement du bloc. Le rôle principal du Parlement européen est d’examiner les budgets et les propositions juridiques de la Commission européenne à Bruxelles.

Les enjeux sont le soutien de Bruxelles à l’Ukraine, les mesures ambitieuses du bloc pour lutter contre les changements climatiques (y compris les cibles de réduction des émissions de carbone) et l’immigration. La portée de la participation de Bruxelles aux politiques économiques, budgétaires et réglementaires nationales est également en jeu.

Le Conseil européen des relations étrangères, groupe de réflexion, laisse entendre qu’un Parlement européen plus populiste et à droite devrait émerger des élections, d’après les récents sondages et sa propre évaluation des coalitions potentielles. Un tel résultat pourrait entraver l’adoption de la législation nécessaire à la mise en œuvre de la prochaine phase du Pacte vert pour l’Europe et mener à une ligne dure en matière de migration, tandis que le soutien à l’Ukraine et à l’élargissement de l’UE pourrait diminuer avec le temps. Dans l’ensemble, ce scénario pourrait amplifier les dissensions au sein du bloc.

Un Parlement européen à droite influerait également sur la politique intérieure des gouvernements nationaux. Par exemple, si les citoyens d’un pays donné devaient voter aux élections du Parlement européen pour un parti qui n’appuie pas le programme du Pacte vert, nous pensons que cette situation aurait fort probablement une incidence sur la position du gouvernement lors de la formulation de ses propres politiques nationales sur la réduction des émissions de carbone.

Par ailleurs, le résultat de l’élection américaine aura aussi une incidence sur les politiques, l’économie et les secteurs du bloc. S’il revient à la Maison‑Blanche, M. Trump prévoit imposer un tarif douanier général d’au moins 10 % sur tous les biens importés, ainsi que des mesures de rétorsion contre les taxes européennes sur les services numériques qui ciblent de grandes sociétés technologiques aux États-Unis. Cela signifierait également que l’allié de l’Europe serait moins engagé. Certains dirigeants européens, comme le président français Emmanuel Macron, pourraient se faire davantage entendre afin que le continent dépende moins des États-Unis pour sa défense. Toutefois, la montée des partis populistes et anti-pouvoir, dont certains sont plus sympathiques à la Russie, rendrait cet objectif plus difficile à atteindre, selon nous.

En bref

Selon nous, les résultats des élections de cette année façonneront le paysage économique de plusieurs pays. Lorsque de nouveaux gouvernements mettent en péril les programmes de réforme, la volatilité des marchés financiers peut augmenter. Les pays où les électeurs appuient les réformes pourraient être en mesure de poursuivre leur croissance. Ailleurs, les voix anti-pouvoir qui ont plus de portée pourraient rendre plus difficiles l’établissement et la mise en œuvre de politiques efficaces.

Dans l’ensemble, nous croyons que la rupture de l’ordre mondial d’après la Guerre froide devrait se poursuivre. À notre avis, le résultat de l’élection américaine sera également important et pourrait modifier considérablement les perspectives de nombreux pays. Ce facteur externe décidera de beaucoup de choses.


Ressources pour les recherches 

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