Une escalade soudaine dans la saga commerciale entre les États-Unis et la Chine a fait nettement reculer les marchés, les grands indices ayant tous basculé dans le rouge. La nouvelle selon laquelle l’administration Trump comptait donner suite à ses menaces de hausse des tarifs douaniers sur les importations américaines de marchandises chinoises a pris les investisseurs au dépourvu, ce qui a sonné la fin d’une période d’accalmie sur les marchés financiers et brusquement réveillé une volatilité assoupie depuis quelque temps. Cette brusque volte-face dans les négociations commerciales, alors que la Chine promet des représailles, a poussé les investisseurs à rechercher des éclaircissements sur ce qu’implique ce regain de tension. Les marchés financiers semblaient avoir largement anticipé un accord commercial imminent entre les deux pays, et, bien qu’un accord final soit toujours envisageable, le retour des craintes relatives aux échanges commerciaux a manifestement détourné, pour le moment, l’attention des marchés de la Réserve fédérale et du ralentissement récent de l’inflation aux États-Unis. Les marchés ont prêté une attention soutenue au relâchement des pressions inflationnistes aux États-Unis, jusqu’à ce que la Fed aborde la situation dans son annonce du 1er mai. La recrudescence des inquiétudes pour la croissance entrainées par la querelle commerciale pourrait accentuer la tendance baissière de l’inflation, notamment si un début de baisse des cours du pétrole brut devait se confirmer. Toutefois, une reprise des hausses des tarifs douaniers, imminentes ou à court terme, pourrait au contraire intensifier les risques d’inflation. Il est néanmoins probable que la Fed considère ces événements comme passagers, la croissance américaine devant essentiellement continuer sur sa lancée.
Des tendances transitoires
La Fed a imputé à la faiblesse des prix de l’énergie le bas niveau de l’inflation en mars, et, bien qu’elle n’ait pas réitéré cette explication lors de son évaluation d’avril, son indicateur d’inflation favori – l’indice de prix des dépenses de consommation personnelle de base, qui ne tient pas compte des prix changeants de l’énergie et de l’alimentation – a encore glissé par rapport à son niveau cible de 2 %. Lors de la rencontre de mai, le président de la Fed, Jerome Powell, a rejeté le caractère « transitoire » de la récente faiblesse des prix et estimé que « beaucoup de petites choses » pesaient sur la hausse des prix, des vêtements et chaussures bon marché aux services-conseils en matière de placement. Le fait que M. Powell se dise à l’aise avec une inflation glissant aussi bien en dessous qu’au-dessus de la cible de 2 % de la Fed a envoyé aux marchés un message selon lequel la dynamique actuelle des prix ne justifie pas un assouplissement de la politique. Cependant, ce message ne semble toujours pas convaincre les marchés, qui s’attendent à ce que l’inflation baisse encore et continuent d’intégrer des baisses de taux.
Se mettre des bâtons (commerciaux) dans les roues
La dernière salve de menaces pourrait atténuer les craintes récentes de déflation, si le coût accru des produits importés, en raison des droits de douane, se répercute sur les prix à la consommation. Les tarifs visant 200 milliards de dollars d’importations chinoises sont sur le point de passer de 10 % à 25 % – une décision qui a déjà été reportée à deux reprises cette année. Toutefois, la nouvelle menace fait état de tarifs de 25 % sur 325 milliards de dollars supplémentaires de produits chinois et vise un éventail de biens allant de l’habillement aux jouets en passant par l’électronique. À ce jour, 40 % des biens de consommation provenant de Chine sont toujours épargnés par les droits imposés à la frontière américaine ; les tarifs en vigueur étaient en effet largement axés sur les biens d’équipement. Cependant, au lieu de voir les entreprises étrangères baisser leurs prix pour compenser les tarifs, on a vu les entreprises américaines absorber en grande partie les coûts supplémentaires ; ainsi, les sociétés qui s’approvisionnent à l’étranger en intrants intermédiaires ou achètent leurs biens d’équipement outremer ont absorbé les surcoûts. Une hausse des prix à la consommation pourrait bien se concrétiser à l’avenir pour les produits importés ayant jusqu’ici échappé aux tarifs (voir le graphique). Une répercussion intégrale sur les prix à la consommation et les marges des entreprises de tarifs généralisés de 25 % pourrait, selon nous, entraîner une inflexion à la hausse du niveau général des prix. En effet, une augmentation des tarifs stimulerait une hausse des prix à court terme. Nous pensons toutefois qu’au fil du temps, ce coup de pouce ponctuel finirait par disparaître de l’équation, son effet durable sur les perspectives globales d’inflation s’estompant par la même occasion. Au-delà de l’effet canal sur les prix, les conséquences pour l’économie ne seraient probablement ni très marquées ni durables. RBC Marchés des Capitaux estime que des tarifs généralisés retrancheraient environ 0,5 % à la croissance du PIB réel américain – un incident de parcours, certes, mais très probablement insuffisant pour faire dérailler la croissance économique.
Entre nervosité et craintes réelles quant aux données fondamentales
Le dernier épisode des négociations commerciales entre les deux géants de l’économie mondiale a provoqué une réaction immédiate sur les marchés boursiers, probablement parce que ces derniers anticipaient un accord commercial avec la Chine. Une étude des bénéfices des sociétés du S&P 500 par la stratégiste en chef, Actions, de RBC Marchés des Capitaux, SARL, Lori Calvasina, a montré, en effet, que les tarifs et les tensions commerciales n’avaient pas de prise sur les sociétés par rapport aux derniers trimestres. Une escalade des tarifs et la hausse consécutive des coûts des intrants et des matières premières pour les entreprises américaines pourraient toutefois entraîner une révision à la baisse des attentes de bénéfices. Il s’ensuit que le S&P 500 pourrait atteindre un sommet à court terme « un tout petit peu plus tôt » que ce qu’elle avait prévu si les menaces de tarifs ne sont pas levées. Les récents événements ont probablement rallongé la longue route sinueuse vers un accord commercial entre les États-Unis et la Chine, mais un compromis définitif n’est, selon nous, pas tout à fait hors d’atteinte. Les fissures apparaissant dans les assises de la croissance américaine n’ont pas encore entamé les données économiques fondamentales, et la Fed, bien qu’il ne soit pas impossible que les risques de hausse de l’inflation à court terme s’accentuent dans un contexte de relèvement des tarifs, a affirmé son intention de soutenir la croissance actuelle malgré une inflation fluctuant autour de son taux cible de 2 %. Dans ces circonstances, nous pensons que le marché boursier américain a le potentiel d’atteindre de nouveaux sommets au cours des 12 mois à venir. Si les derniers remous ne nous ont pas dissuadés de maintenir notre pondération neutre, la dernière baisse nous conforte en revanche dans l’idée qu’un portefeuille structuré de façon défensive se justifie de plus en plus.