Le Canada face au protectionnisme américain

29 janvier 2025 | Joseph Wu, CFA


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La politique commerciale des États-Unis prend une orientation plus restrictive, susceptible d’influer sur l’économie et le marché boursier canadiens. Nous croyons que le meilleur moyen de composer avec les épisodes répétés de volatilité qui...

Le Canada face au protectionnisme américain

Se préparer au protectionnisme américain

Le spectre des droits de douane américains a assombri les perspectives de l’économie canadienne, car de telles mesures pourraient affecter plusieurs secteurs clés pour lesquels les échanges commerciaux transfrontaliers sont cruciaux. Comme les exportations de marchandises comptent pour environ 25 % du PIB du pays, l’économie canadienne vit en symbiose avec celle des États-Unis, sa principale partenaire commerciale. Près des trois quarts des exportations canadiennes sont destinées aux États-Unis, principalement dans des secteurs comme l’énergie, les métaux et la construction automobile (voir le graphique ci-dessous).

Secteurs canadiens exposés au commerce avec les États-Unis, en part du PIB
Secteurs canadiens exposés au commerce avec les États-Unis, en part du PIB

Le graphique à barres montre la part du PIB national des segments canadiens les plus exposés aux échanges commerciaux avec les États-Unis. Extraction pétrolière et gazière, 4,54 %; Première transformation des métaux, 0,64 %; Fabrication de produits du pétrole et du charbon, 0,54 %; Fabrication de produits en plastique, 0,39 %; Fabrication de pièces et produits aérospatiaux, 0,32 %; Fabrication de produits pharmaceutiques et de médicaments, 0,27 %; Fabrication de véhicules automobiles, 0,21 %; Boulangerie et fabrication de tortillas, 0,19 %; Usines de pâtes à papier, de papier et de carton, 0,17 %; Fabrication de machinerie industrielle, 0,13 %.

Selon le PIB de 2023. Comprend les segments dont le ratio exportations/PIB est supérieur à 100 % et dont l’excédent commercial avec les États-Unis est d’au moins 1 G$.

Sources : Statistique Canada, Industrie Canada, Services économiques RBC.

Des droits de douane entraîneraient presque certainement une baisse des exportations et freineraient la croissance économique. RBC Gestion mondiale d’actifs estime que, dans le pire scénario visant l’Amérique du Nord, des tarifs douaniers américains de 25 % pourraient soustraire cumulativement jusqu’à 4,5 points de pourcentage du PIB canadien après deux ans s’ils demeurent en vigueur tout au long de la période – un scénario que nous jugeons peu probable (voir le tableau de la page suivante). RBC Gestion mondiale d’actifs (RBC GMA) prévoit que les droits de douane imposés au Canada par les États-Unis seront probablement limités, car des considérations pragmatiques devraient modérer la portée des mesures protectionnistes. Selon les scénarios les plus probables, ceux de « droits de douane importants, mais temporaires » et de « droits de douane partiels », le ralentissement du PIB canadien s’établirait dans une fourchette de 0,3 à 1 point de pourcentage. De façon plus générale, les économistes perçoivent les droits de douane comme une politique où tout le monde est perdant, puisqu’elle impose des coûts économiques non seulement aux partenaires commerciaux, mais aussi aux pays qui les appliquent. En plus des effets inflationnistes potentiels à court terme, les tarifs sont souvent accompagnés de mesures de représailles.

Conséquences économiques de droits de douane américains
Estimation de l’effet cumulatif maximal sur la production économique après deux ans, en supposant des droits de douane réciproques
Scénario Effet sur la production économique
Monde Canada É.-U. Mexique Chine Japon Zone euro R.-U.
Plan tarifaire initial :
60 % Chine,
10 % reste du monde
(Probabilité : 10 %)
-1,0 % -1,9 % -1,2 % -1,5 % -1,4 % -0,6 % -0,9 % -0,6 %
Droits de douane visant l’Amérique du Nord :
25 % Canada, 25 % Mexique, 10 % Chine
(Probabilité : 10 %)
-0,8 % -4,5 % -1,5 % -4,0 % -0,6 % -0,2 % -0,4 % -0,2 %
Droits de douane substantiels, mais temporaires :
L’un des scénarios ci-dessus, mais retrait des droits de douane après plusieurs mois
(Probabilité : 25 %)
-0,3 % -1,0 % -0,4 % -0,9 % -0,3 % -0,1 % -0,2 % -0,1 %
Droits de douane partiels :
Droits de douane réduits sur les secteurs et pays ciblés
(Probabilité : 45 %)
-0,2 % -0,3 % -0,2 % -0,2 % -0,3 % -0,1 % -0,2 % -0,1 %
Aucun nouveau droit de douane important
(Probabilité : 10 %)
0 % pour l’ensemble

Sources : Oxford Economics, RBC Gestion mondiale d’actifs; données en date du 24 janvier 2025.

Bien que ces projections présentent un contexte utile pour évaluer l’éventail des répercussions économiques possibles des droits de douane américains, les diverses hypothèses qui les sous-tendent sont particulièrement imprévisibles, notamment la manière dont la Banque du Canada (BdC) et le gouvernement canadien choisiront de riposter, la réaction du dollar canadien, ainsi que la portée, l’ampleur et la durée des droits de douane. Par ailleurs, le gouvernement canadien a récemment fait savoir qu’il était prêt à appliquer des contre-mesures d’une somme rigoureusement équivalente à tout droit de douane américain, ce qui ajoute un autre niveau de complexité.

Dans un récent rapport (en anglais) sur l’inflation, Services économiques RBC a souligné que la réalité d’un choc lié aux droits de douane est plus complexe que la simple réduction à un chiffre de l’emploi ou de la croissance. Au-delà des prévisions spécifiques, l’utilisation d’un cadre général représente une autre approche des répercussions que les tarifs risquent d’avoir sur l’ensemble d’une économie (voir le graphique ci-dessous).

Comment un droit de douane américain se répercute sur l’économie canadienne
Comment un droit de douane américain se répercute sur l’économie canadienne

Le graphique montre comment un droit de douane américain se répercute sur l’économie canadienne, en sept étapes : 1) Choc de l’incertitude. 2) Gonflement anticipé des stocks. 3) Une fois les droits de douane appliqués, augmentation des prix et diminution de la demande. 4) Mesures de représailles. 5) Contrecoups subits par les secteurs secondaires (services). 6) Réponse de la Banque du Canada. 7) Tentative de soutien par la politique budgétaire.

Source : Services économiques RBC.

À court terme, la perspective de droits de douane peut stimuler l’activité économique, car les entreprises et les consommateurs effectuent des achats préventifs en prévision de la hausse des coûts. Toutefois, cette vague d’activité initiale fait souvent place à un « trou d’air » dans la production, car :

  • la demande faiblit après une période d’achats préventifs précédant la mise en œuvre des droits de douane;
  • la hausse des prix postérieure à la mise en œuvre des droits de douane pèse sur le pouvoir d’achat; et
  • les mesures de rétorsion refroidissent les perspectives d’exportation.

À mesure que les effets macroéconomiques des droits de douane se feront sentir, nous estimons que les mesures prises par la BdC et le gouvernement fédéral – politique en matière de taux d’intérêt, contre-droits de douane et mesures de soutien pour les secteurs touchés – joueront un rôle crucial dans l’établissement de la trajectoire à court terme de l’économie canadienne.

On pourra sans doute gérer les répercussions sur les marchés boursiers

Malgré l’anxiété provoquée par la stratégie commerciale des États-Unis, le marché boursier canadien, dans son ensemble, pourrait résister à la tempête mieux que ce à quoi les investisseurs s’attendent, si nous supposons qu’un obstacle économique non récessionnaire découlant de droits de douane temporaires ou partiels est le scénario le plus probable. Alors qu’environ 30 % des revenus de l’indice composé S&P/TSX proviennent des États-Unis, environ le quart seulement de cette exposition concerne des sociétés dans les secteurs de la production de biens (voir les graphiques ci-dessous).

Répartition géographique des revenus de l’indice composé S&P/TSX
Pondération selon la capitalisation boursière
Répartition géographique des revenus de l’indice composé S&P/TSX

The circular chart shows the revenue exposure of the S&P/TSX Composite Index by geographic region. Canada, 46.7%; United States, 30.3%; European Union, 4.3%; United Kingdom, 2.1%; Other, 16.6%.

Sources : RBC Gestion de patrimoine, FactSet; données au 31 décembre 2024.

Répartition sectorielle des revenus américains de l’indice composé S&P/TSX
Pondération selon la capitalisation boursière
Répartition sectorielle des revenus américains de l’indice composé S&P/TSX

Le graphique à barres montre l’exposition des revenus de l’indice composé S&P/TSX par secteur du marché. Services de communications, 2,7 %; Indice composé S&P/TSX hors services, 7,5 %; Matières, 19,2 %; Consommation de base, 24,2 %; Soins de santé, 24,3 %; Énergie, 24,9 %; Finance, 26,0 %; Immobilier, 28,0 %; indice composé S&P/TSX général, 30,3 %; Consommation de base, 32,0 %; Services publics, 33,2 %; Produits industriels, 45,6 %; Technologie de l’information, 54,5 %.

Les services comprennent les services de communications, la finance, les soins de santé, la technologie de l’information et certains segments de la consommation discrétionnaire, de la consommation de base et des produits industriels.

Sources : RBC Gestion de patrimoine, FactSet; données au 31 décembre 2024.

Des secteurs comme les produits industriels, l’énergie, les matières et la consommation discrétionnaire semblent relativement plus vulnérables à des droits de douane américains punitifs, à notre avis. En revanche, malgré leur exposition importante aux revenus américains, nous pensons que les secteurs des services, comme la technologie de l’information, les services publics et la finance, sont probablement mieux protégés des effets directs de la politique commerciale, qui tend à mettre l’accent sur les marchandises. Pour autant, les contrecoups des droits de douane, allant de la baisse des investissements des entreprises à l’érosion de la confiance des consommateurs, pourraient peser sur l’économie canadienne dans son ensemble et atteindre les secteurs des services.

Même si l’incertitude entourant la politique commerciale des États-Unis amplifiera probablement la volatilité du marché de façon intermittente, l’impact potentiel des droits de douane sur le bénéfice de l’indice composé S&P/TSX devrait être gérable, selon nous. Les entreprises canadiennes sont habituées aux incertitudes liées au commerce; par exemple, l’Accord Canada‑États‑Unis‑Mexique (AEUMC) a été négocié pendant 14 mois en 2017‑2018, au cours desquels les États-Unis ont imposé au Canada des droits de douane temporaires sur l’acier et l’aluminium. L’indice composé S&P/TSX a subi une correction de 11,6 % en 2018 sous l’effet des inquiétudes et des craintes à l’égard de la trajectoire du taux directeur de la Réserve fédérale américaine, avant de rebondir de 19,1 % en 2019 à mesure que les tensions se sont atténuées. Au-delà du court terme, les moteurs fondamentaux du marché boursier restent la croissance soutenue de l’économie et l’augmentation de la rentabilité des entreprises, à notre avis (voir la figure). FactSet prévoit que le bénéfice de l’indice composé S&P/TSX augmentera d’environ 12 % en 2025, une accélération comparativement à un niveau d’un peu plus de 4 % en 2024.

Le marché boursier emboîte le pas aux bénéfices
L’indice composé des cours S&P/TSX et le bénéfice par action (BPA) prévisionnel sur 12 mois

Le graphique linéaire montre l’indice composé des cours S&P/TSX et le bénéfice par action (BPA) prévisionnel sur 12 mois, de 2015 à 2025. Au cours de cette période, l’indice des cours est passé d’environ 15 000 $ à environ 25 000 $, et le BPA est passé d’environ 900 $ à environ 1 700 $. Le TSX a reculé de 11,6 % en 2018 en raison de l’intensification des tensions commerciales.


Indice composé des cours S&P/TSX (gauche)

BPA prévisionnel sur 12 mois de l’indice composé S&P/TSX (droite)

Sources : RBC Gestion de patrimoine, Bloomberg; données jusqu’au 24 janvier 2025.

Dans les limbes de l’incertitude

Selon nous, l’imposition de droits de douane élevés par l’administration Trump représente une réelle menace. Toutefois, les discours radicaux peuvent être très différents des politiques finalement mises en place grâce aux contraintes du monde réel sur les décideurs, notamment l’étroite intégration des chaînes d’approvisionnement nord-américaines et les sensibilités politiques à l’égard de l’inflation.

Les droits de douane sur les importations de pétrole et de gaz naturel canadiens, par exemple, mineraient l’objectif déclaré de l’administration Trump de réduire les prix de l’énergie et l’inflation pour les ménages et les entreprises aux États‑Unis. La faisabilité d’imposer des droits de douane sur l’énergie canadienne nous semble discutable, car les États-Unis n’auraient pas de substituts viables à court terme aux plus de quatre millions de barils de pétrole qu’ils importent quotidiennement du Canada et qui représentent environ 20 % de la consommation de pétrole américaine. Le déficit commercial des États-Unis avec le Canada, souvent cité, cache également une réalité commerciale plus nuancée, qui change considérablement lorsque les échanges transfrontaliers sont segmentés entre les secteurs énergétiques et non énergétiques. Si l’on exclut les flux commerciaux du secteur de l’énergie, les États-Unis affichent un excédent commercial avec le Canada (voir le graphique ci-dessous).

Balance commerciale des États-Unis avec le Canada
Balance commerciale des États-Unis avec le Canada

Le graphique montre la balance commerciale des États-Unis avec le Canada, la balance commerciale pour le pétrole et le gaz, ainsi que la balance commerciale hors pétrole et gaz, de 2009 à novembre 2024. Les États-Unis ont enregistré un déficit commercial avec le Canada pour toute la période indiquée. Au cours des 11 premiers mois de 2024, le déficit commercial total des États-Unis avec le Canada s’est établi à 56 G$ US et celui pour le pétrole et le gaz, à 90 G$ US. Si l’on exclut le pétrole et le gaz, les États-Unis ont enregistré un excédent commercial d’environ 34 G$ US au cours des 11 premiers mois de 2024.


Balance commerciale des États-Unis

Balance commerciale des États-Unis (pétrole et gaz)

Balance commerciale des États-Unis (hors pétrole et gaz)

En milliards de dollars américains; données annuelles jusqu’en novembre 2024.

Sources : RBC Gestion de patrimoine, Bloomberg; données jusqu’au 30 novembre 2024.

Les leçons tirées de la façon dont les différends commerciaux ont été résolus lors de la première administration Trump donnent à penser que les droits de douane pourraient servir de levier de négociation plutôt que de mesure permanente. Au cours de son premier mandat, Trump a relevé les droits de douane de nombreux partenaires commerciaux, une tactique qui a ouvert la voie à de nouveaux accords commerciaux ou à des accords commerciaux révisés, notamment l’AEUMC et l’accord de « phase 1 » avec la Chine, qui se sont finalement soldés par la réduction ou la suppression des droits de douane.

Les réactions des marchés financiers varieront considérablement selon les détails de la mise en œuvre des droits de douane et la façon dont les décideurs au Canada choisissent de réagir. Pour l’instant, le marché boursier canadien reste, pour l’essentiel, imperturbable. L’indice composé S&P/TSX se négocie à 15,5 fois les bénéfices prévisionnels consensuels sur 12 mois, soit un multiple légèrement supérieur à la moyenne sur 20 ans d’environ 14,5 fois. En d’autres termes, les investisseurs sont peu anxieux dans l’immédiat. Malgré le calme actuel, nous pensons que les événements de 2018 doivent nous rappeler que les frictions commerciales et les préoccupations concernant leurs effets secondaires sur la croissance peuvent faire baisser les cours sur le marché boursier canadien, au moins pendant un certain temps, même si l’impact direct de tarifs sur les bénéfices s’avère assez limité.

En revanche, les marchés des changes ont déjà montré des signes d’ajustement : depuis l’élection présidentielle américaine de novembre, le dollar canadien s’est affaibli d’environ 4 % et le dollar américain pondéré en fonction des échanges commerciaux s’est raffermi dans la même mesure (voir le graphique ci-dessous). Si des droits de douane sont annoncés, Services économiques RBC estime qu’un dollar canadien moins cher pourrait contrebalancer en partie la hausse des coûts que les importateurs américains subiront du fait des droits de douane.

Le dollar canadien a encore reculé
Le taux de change CAD/USD

Le graphique linéaire montre le taux de change CAD/USD du 1er janvier 2024 au 27 janvier 2025. Le taux a généralement diminué au cours de cette période, passant de 0,75 en janvier 2024 à 0,70 à l’heure actuelle.


Taux CAD/USD

Sources : RBC Gestion de patrimoine, Bloomberg; données jusqu’au 27 janvier 2025.

Dans ce qui s’annonce une période de volatilité pour les portefeuilles d’actions canadiennes, nous estimons que l’approche la plus prudente est de maintenir une stratégie de placement rigoureuse axée sur le long terme tout en ne réagissant pas impulsivement, à court terme, aux gros titres des médias. La diversification parmi un éventail de sociétés de grande qualité dotées d’un modèle d’affaires durable, de flux de trésorerie résilients et d’un bilan solide procure une protection efficace contre tout choc éventuel lié à la politique commerciale, selon nous. Les sociétés présentant ces caractéristiques sont généralement bien équipées pour composer avec des conditions d’exploitation plus difficiles et s’adapter aux chocs économiques.


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Déclarations exigées 

Au Québec, les services de planification financière sont fournis par RBC Gestion de patrimoine Services Financiers. qui est autorisé comme une société de services financiers dans cette province. Dans le reste du Canada, les services de planification financière sont disponibles à travers RBC Dominion valeurs mobilières.

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