2024: Retour à la normale

10 janvier 2024 | Alain Daaboul


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L’année 2023 a dépassé les attentes des investisseurs les plus optimistes, le marché américain bondissant de 24%, grâce à la hausse du secteur technologique, et le marché canadien de 8%. La majorité de la hausse est survenue lors des deux derniers mois, supportée par l’espoir que les taux d’intérêt vont diminuer fortement en 2024, tout en évitant une forte récession.

Nos portefeuilles ont surperformé leurs indices respectifs pour une troisième année consécutive. Notre performance en 2023 peut paraître surprenante, car nos portefeuilles sont bâtis pour préserver le capital lorsque les marchés chutent, et devraient monter moins que les indices lorsque ces derniers montent fortement. Elle s’explique par le fait que nous avions anticipé les thèmes principaux de l’année, soit la baisse de l’inflation au 1er semestre ainsi que le ralentissement de l’économie en 2ème partie d'année. De plus, notre sélection de titres nous a aidés. Les actions de qualité ont surperformé en 2023, étant moins endettées.

Les marchés boursiers ont combattu plusieurs obstacles au cours de l’année pour atteindre ce résultat soit des taux d’intérêt plus élevés qu’attendu, une crise bancaire dans les banques régionales américaines et une situation géopolitique qui s’est aggravée. De plus, le consommateur moyen fait face à de gros défis. Cela prouve qu’il faut souvent investir à contre-courant, les investisseurs étant très négatifs en début d’année.

Le marché obligataire, après avoir baissé de 20% en 3 ans, a rebondi de près de 6% les 2 derniers mois grâce à la baisse anticipée des taux. Les taux obligataires 10 ans ont baissé de plus de 5% à moins de 4%. Nous avions d’ailleurs publié un commentaire à ce sujet en novembre après nous être positionnés en conséquence. Cette opportunité est déjà passée en grande partie et la prudence est de mise dans ce secteur de nouveau. Tout cela démontre qu’il faut être actif dans les marchés actuels.

Baisse des taux d’intérêt attendue

La vedette de l’année fut sans contredit le consommateur américain. Malgré la hausse des taux d’intérêt, il a continué de consommer fortement. Cela s’explique par les créations d’emploi élevées, les réserves de liquidité acquises pendant la pandémie et la hausse des salaires plus forte que l’inflation.

Au Canada, la situation est plus difficile. Le PIB canadien par habitant diminue depuis 5 trimestres consécutifs, la forte immigration masquant de gros problèmes structurels. Les Canadiens sont plus affectés que les Américains par la hausse des taux d’intérêt. Ils sont plus endettés et les échéances d’hypothèques plus courtes, ce qui fait qu’ils paient aujourd’hui 50% plus d’intérêt que les Américains, écart qui va s’agrandir dans les trois prochaines années.

On devrait donc s’attendre que le Canada baisse ses taux avant les Américains, mais cela serait surprenant car nous faisons face à une inflation plus élevée dans des domaines clefs. Même si l’emploi est plus faible au Canada, la hausse des salaires est plus élevée, et notre productivité beaucoup plus faible. De plus, les loyers, plus grande composante de l’inflation, diminuent maintenant au É-U mais continuent de s’accélérer au pays. Dans ces conditions, le Canada ne peut se permettre de baisser les taux avant les É-U même si notre économie est plus faible, ce qui n’augure rien de bon pour le consommateur canadien à court terme.

Même si l’inflation a fortement diminué et se situe à 3%, nous ne sommes toujours pas convaincus qu’elle va ralentir à moins de 2% à long terme. Il y a toujours pénurie de logements, de main d’œuvre et de ressources, sans compter le thème de la démondialisation. Le marché anticipe 6 baisses de taux aux É-U et 5 au Canada en 2024, commençant en mars, et nous estimons que ce n’est pas réaliste, et qu’il reste trop d’incertitude. D’ailleurs, les commentaires des banques centrales n’indiquent pas une telle baisse des taux si rapidement.

Perspectives des marchés en 2024

Nous croyons que l’année devrait être positive dans l’ensemble car les entreprises sont en bonne santé, le taux de chômage demeure bas et les investisseurs possèdent d’énormes liquidités. Il y a près de 6 trillions en marché monétaire aux É-U, par rapport à 4.73 trillions il y a 1 an.

Cela étant dit, nous préférons rester prudents pendant les premiers mois et nous nous sommes positionnés en conséquence. Comme indiqué ci-haut, nous estimons que les prévisions du marché de 6 baisses de taux tout en évitant un ralentissement économique ne sont pas réalistes.

Les investisseurs sont maintenant très positifs et n’escomptent pas assez les risques de récessions, politiques et géopolitiques. Le premier semestre d’une année électorale américaine est souvent difficile sur les marchés, et celle-ci comporte beaucoup de risques. De plus, le monde n’a jamais fait face à autant de défis géopolitiques depuis la fin de la guerre froide.

Les investisseurs estiment que les profits des entreprises vont augmenter de 12% en 2024, et nous estimons que ces prévisions vont diminuer dans les prochains mois. Les entreprises continuent de faire face à de fortes pressions sur leurs marges et la majorité des consommateurs a dépensé ses économies excédentaires acquises pendant la pandémie, et sont affectés par l’inflation et la hausse des taux. Nous croyons que la technologie ne sera plus le plus grand contributeur du marché et que les rendements des différents secteurs seront mieux répartis, ce qui a commencé depuis 2 mois.

Comme dans le passé, nous favoriserons des actions faciles à comprendre, leaders dans leur industrie, qui ont de bonnes marges de profits et arriveront à les maintenir. Nous allons rester très actifs pour nous adapter aux conditions changeantes du marché.

Voici un résumé de notre positionnement actuel.

Financières

Ce secteur, le plus grand au Canada, est celui où nous demeurons le plus sous-pondérés. Nous y détenons moins de 10% de nos actions tandis que notre indice de référence est à 25%. Les banques sont difficiles à analyser et ont pris beaucoup de risque ces dernières années. Elles sous-performent d’ailleurs le reste du marché depuis 15 ans. 2023 n’a pas été différente même si elles ont rebondi lors des 2 derniers mois, grâce à l’anticipation de la baisse des taux d’intérêt. Historiquement, le temps de les racheter est au sommet de leurs mauvaises créances sur leurs prêts. Nous prévoyons que ce niveau sera atteint dans les prochains mois, les banques canadiennes étant encore plus à risque.

Nos 4 plus grandes positions dans le secteur ont augmenté de plus de 20% chaque, bien mieux que le reste du secteur, soit Manulife, notre 3e plus grande position au Canada, Wells Fargo, Square et Itaú Unibanco. Cette dernière, la plus grande banque en Amérique latine, a bondi de 49%.

Commodités: Énergie et Matériaux

Malgré des baisses de productions de l’OPEP et des tensions géopolitiques dans les 2 plus grandes régions exportatrices du monde, la Russie et le Moyen-Orient, le pétrole a baissé de 11% en 2023 et de 21% au 4e trimestre. La demande a continué d’augmenter mais la production de certains pays (É-U, Canada, Brésil) a été plus forte.

Après avoir été le seul secteur positif en 2022, le pétrole a donc sous-performé en 2023. Nous détenons une exposition proche de notre indice de référence. Notre plus grande position, Canadian Natural Resources, a monté de 20%, mieux que ses pairs. Après avoir pris des profits en début d’année, nous avons recommencé à en acheter en fin d’année. Le pétrole canadien est de plus en plus recherché grâce aux problèmes géopolitiques et à l’ouverture de nouveaux oléoducs. Nous estimons que les firmes d’énergie canadiennes sont en excellente position, étant maintenant peu endettées, et vont générer des flux de trésorerie affolants.

Quant aux matériaux, nos 2 plus grandes positions dans le secteur, Nutrien dans l’agriculture et Canfor dans le bois, ont fait face à une baisse de la demande et ont chuté de près de 20%. Nous aimons toujours leurs perspectives à long terme. Nous avons vendu notre position dans les métaux de base, Teck Resources, en avril. Il faut noter la résurgence de l’or dans les derniers mois et nous y détenons 3 petites positions.

Industriels et Consommation discrétionnaire

En début d’année, le secteur industriel était le secteur où nous étions le plus surpondérés. Nous y comptions sur un rebond, notamment du voyage, ce qui a bien fonctionné. Nos 2e et 3e positions en dehors du Canada, Boeing et Uber, achetées pour la première fois pendant la pandémie, ont augmenté respectivement de 49% et 149% en 2023. Nous avons ajouté à nos positions au printemps et aimons leurs perspectives à long terme. Air Canada, notre 8ème position au début de l’année, a baissé de 4% en 2023 mais a contribué positivement à notre performance. Nous avons doublé notre position en mai à 19$ avant de vendre la majorité de nos actions à 26$ en juillet. Nous sommes sortis de plusieurs titres dans le secteur, soit Transforce, Stantec et SNC-Lavalin.

Nous avons sous-pondéré la consommation discrétionnaire en vendant Canadian Tire, Stellantis et Wynn Resort avec de gros gains. Nous allons attendre que le consommateur soit en meilleure position avant de revisiter ce secteur.

Consommation courante et Santé

Ces deux secteurs, considérés comme défensifs, n’ont pas fait grand-chose en 2023, ce qui est normal dans une année de forte hausse.

Deux de nos 10 plus grosses positions sont dans la consommation courante, ce qui explique la raison pourquoi le secteur est celui où nous sommes le plus surpondérés. Ces 2 compagnies que nous détenons depuis près de 10 ans sont Alimentation Couche-Tard et Costco. Elles ont monté respectivement de 32% et 45% en 2023, et nous aimons toujours leur modèle à long terme. 

La santé a été une déception en 2023, et baisse souvent avant les élections américaines, avant de remonter peu après. Nous estimons que cela ne sera pas différent cette fois-ci. Aucun secteur n’est aussi stable, tout en générant de forts flux de trésorerie. Il est donc au cœur de nos modèles valeurs globales. Au cours de l’année, nous avons vendu Novartis avec un bon gain, et initié deux grandes positions dans GSK et United Health au cours de l’été. Ces 2 titres ont augmenté de près de 20% depuis.

Technologie

Après avoir chuté de près de 40% en 2022, ce secteur s’est envolé de plus de 50% en 2023. Cette hausse s’explique par la performance de 7 énormes compagnies de technologie et de la frénésie liée à l’intelligence artificielle. Cela peut paraître surprenant car ces compagnies ont affiché une croissance des revenus et des profits très faibles en 2023.

Même si nous n’avions pas anticipé cette hausse, ce secteur a contribué mieux à notre performance que les indices. Nous y sommes parvenus en augmentant notre pondération dans le secteur fin 2022 et parce que les titres que nous détenions ont augmenté plus que le reste du secteur. Notre plus grande position hors du Canada, Salesforce, a bondi de 98%. Nos trois plus grandes actions suivantes Marvell Tech, Constellation Software et Palo Networks, ont monté respectivement de 63%, 49% et 111%.

Nous avons pris des profits en fin d’année dans ce secteur, et finissions l’année à 12% d’exposition. Nous serions surpris s’il répétait sa surperformance cette année. Historiquement, les plus grandes compagnies dans le monde sous-performent le reste du marché.

Immobilier, Télécoms et Services publics

Comme prévu, ces trois secteurs, composés de compagnies endettées affectées par l’inflation et la hausse des taux d’intérêt et dont les revenus sont souvent négociés à l’avance, ont sous-performé.

Au cours du 2ème semestre, nous avons racheté Rogers et TC Energy, 25% plus bas que le prix dont nous les avions vendus début 2022. Ils ont monté d’environ 10% depuis.