2023 : Comment faire face à un ralentissement économique

14 septembre 2023 | Alain Daaboul


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Les 8 premiers mois de l’année ont été très différents des 8 premiers de l’année dernière. Il y a 1 an, les investisseurs étaient très négatifs, craignant l’inflation qui frisait les 8%, ainsi qu’une récession qui paraissait proche.

Nous étions en désaccord et estimions que l’inflation allait ralentir fortement, et qu’une récession à court terme allait être évitée. Après avoir profité de la forte inflation au premier semestre de 2022, nous nous étions donc positionnés vers des titres cycliques. L’inflation est aujourd’hui à 3% et les données économiques ont été fortes depuis, malgré la plus forte hausse de taux d’intérêt de l’histoire. Cela a permis à nos investissements d’augmenter plus rapidement que le reste du marché. Comme nous avons bien performé en 2021 et 2022, nos portefeuilles ont doublé nos indices de référence depuis 3 ans, tout en étant moins volatils.

La hausse des marchés boursiers lors de la dernière année ne s’explique pas par les profits, car ces derniers n’ont presque pas augmenté, mais par la hausse des multiples. Les investisseurs paient aujourd’hui les actions 17% plus cher, ce qui démontre qu’ils sont plus optimistes, et espèrent que les taux vont rebaisser sans récession.

Cependant, nous estimons aujourd’hui que le futur est plus incertain. Sans être négatifs, nous préférons redevenir plus prudents, et protéger une partie de nos gains.

Nous avons pris des profits dans des titres cycliques qui ont très bien performé et possédons plus de compagnies stables et défensives de haute qualité.

Inflation

Il y a 1 an, nous étions d’avis qu’atteindre une inflation à 3% allait être facile, mais pas l’objectif de 2%. Le marché estimait il y a quelques mois que les banques centrales allaient baisser leurs taux à plusieurs reprises d’ici la fin de l’année. Depuis, les banques centrales ont continué à les augmenter et il n’y a pas de baisses de taux à l’horizon.

Il convient donc d’analyser les grandes composantes de l’inflation :

Chaîne de production : En octobre 2021, 60% de l’inflation venait de cette composante, causée par la pandémie. Aujourd’hui, elle est en déflation, résultat de la faible demande et de la production qui est revenue à la normale, ce qui provoque des inventaires élevés.

Salaires : L’emploi a ralenti dernièrement et les postes vacants ont diminué, mais le taux de chômage en Amérique du Nord est toujours près du bas des 50 dernières années. La croissance des salaires est toujours de 4%, à cause de la pénurie d’employés.

Prix de l’énergie et de l’alimentation : Une des grandes raisons du ralentissement de l’inflation est due à la baisse du prix de pétrole de 40% entre mars 2022 et mai 2023.

Malheureusement, il a rebondi de plus de 25% depuis, à cause de la demande élevée et de la baisse de la production. Quant au prix de la nourriture, elle demeure élevée à cause des catastrophes naturelles et de la guerre en Ukraine.

Immobilier : Ce secteur étant un des plus importants de l’économie canadienne, il est primordial de le faire baisser pour contrôler l’inflation. Mais une pénurie de logements cumulée à une forte immigration rend cet exercice difficile. De plus, les loyers et les coûts de financement, qui montent avec la hausse des taux, soutiennent l’inflation.

Les banques centrales ne peuvent rien contre la pénurie de main-d'œuvre et de logements, et la baisse de production de pétrole. Elles vont tout de même tout faire pour atteindre leur objectif de 2% d’inflation, question de crédibilité.

Impact sur l’économie

Atteindre la cible de 2% d’inflation ne voudra pas nécessairement dire que les taux rebaisseront tout de suite. Nous croyons qu’il faudra vivre avec des taux plus élevés que dans les 15 dernières années.

Cela prend entre 12 et 18 mois avant que les hausses de taux se fassent sentir dans l’économie. Puisque la première hausse de taux est venue en mars 2022, cela nous amène à aujourd’hui. Les effets réels vont donc se faire sentir dans les prochains mois.

Hausser les taux d’intérêt pour faire baisser l’inflation n’est jamais arrivée sans perte d’emplois. Cette dernière survient à la fin du cycle économique. Toute hausse de 0.3% du taux de chômage s’est accompagnée d’une récession dans le passé. Aux États-Unis, l’immobilier étant moins important qu’au Canada et les termes hypothécaires plus longs, il faudra des pertes des emplois pour ralentir l’inflation.

Il y a de plus en plus de signes que l’économie ralentit. Les profits des entreprises baissent depuis 6 trimestres d’affilée. L’inflation et les coûts de financements leur font de plus en plus mal. Pour l’instant, les compagnies ont accepté moins de marge pour faire face à la pénurie de la main d’œuvre et l’inflation. Si jamais la consommation ralentit, des pertes d’emploi seront à prévoir.

Au Canada, la forte immigration (2.7% de la population en 2022) masque la faiblesse économique. La consommation par habitant baisse depuis 2 trimestres et est au même niveau qu’en 2020. Les retards dans les paiements de carte de crédit et de prêts autos ont commencé à augmenter, ainsi que les faillites personnelles. Enfin, la Chine et l’Europe sont déjà en ralentissement économique.

Risque dans le secteur bancaire

Les banques canadiennes ont grandement surperformé le marché entre 1982 et 2007, mais le sous-performent depuis. Nous estimons que cela va continuer.

Tout d’abord, elles font face à une diminution des dépôts bancaires. Un investisseur peut maintenant obtenir près de 5% en marché monétaire.

De plus, elles veulent à tout prix éviter une crise immobilière. Elles sont très permissives avec les hypothèques variables, acceptant que moins de capital soit remboursé. Mais 60% des hypothèques seront probablement renouvelées à des taux plus élevés dans les 3 prochaines années, qui ont été souscrites lorsque les taux étaient à moins de 2%. Plus longtemps les taux resteront au niveau actuel, plus cela fera mal. Les gens vont tout faire pour garder leur résidence, mais devront réduire leurs dépenses ailleurs et des investisseurs immobiliers, qui ont un rendement négatif, seront forcés de vendre.

La situation est encore plus précaire dans l’immobilier commercial. En Amérique du Nord, environ 15% des immeubles commerciaux sont inoccupés, un record, et ce chiffre devrait augmenter. Environ 1500 milliards de $ de dette dans ce secteur vont arriver à échéance dans les 3 prochaines années, la majorité ne remboursant que les intérêts entre temps. L’effet pourrait être dévastateur si les taux ne rebaissent pas rapidement.

La valeur des placements alternatifs (immobilier, placements privés, infrastructure) dépend directement des taux d’intérêt. La hausse de taux a causé une baisse de plus de 30% dans ce type d’entreprise en bourse. Mais une grande partie de ces placements est détenue en privé, surtout par les fonds de pension. Leurs revalorisations, souvent faites par des entreprises rémunérées par le détenteur, n’ont pas encore été effectuées dans certains cas. Cela risque de survenir dans les prochains mois, ce qui pourrait causer d’énormes pertes et des faillites.

Tout cela explique pourquoi les banques sont de plus en plus restrictives sur les nouveaux prêts, ce qui est négatif pour l’économie.

Positionnement sectoriel

Le positionnement sectoriel est souvent plus important que la sélection de titres. Nous y sommes donc actifs et ne craignons pas de dévier de l’indice.

Basé sur nos commentaires, vous ne serez pas surpris d’apprendre que le secteur où nous sommes le plus sous-pondérés par rapport à l’indice est le secteur financier. Nous y détenons 11% de nos actions par rapport à 24% pour notre indice d’actions, dont moins de 2% dans des banques canadiennes. L’action des banques rebondit lorsque les pertes de crédit sont au maximum, et nous n’y sommes pas encore.

Le deuxième secteur où nous sommes le plus sous-pondérés est la technologie (12% par rapport à 18%). Au début 2022, nous étions seulement à 6% et l’avions augmenté fin 2022, ce qui a grandement aidé, car ce secteur a été le plus mauvais en 2022 et le meilleur cette année.

En 2023, ce secteur surperforme le reste de la bourse autant qu’en 2000, ce qui avait très mal fini. La majorité du rendement à la bourse cette année a été faite par des titres reliés à l’intelligence artificielle. Il suffisait au premier semestre qu’une firme mentionne ce mot pour que l’action monte. Même si ces titres sont au centre de nos vies, nous préférons rester prudents devant des valorisations excessives, surtout dans un contexte de taux d’intérêt élevés.

Comme nous avons maintenant près de 20% de liquidités, il y a seulement 3 secteurs où nous sommes surpondérés de plus de 1%, soit la consommation courante, la santé et l’énergie. Les 2 premiers devraient bien faire même s’il y a un ralentissement économique. Le secteur énergique bénéficie de vents très favorables, les compagnies générèrent d’excellents flux de trésorerie tout en surveillant leurs dépenses, et le prix du pétrole canadien par rapport au reste du monde n’a jamais été si attrayant.

Enfin, nous détenons maintenant un peu moins que notre indice dans le secteur industriel, la consommation discrétionnaire et les matériaux, 3 secteurs où nous étions très surpondérés il y a quelques mois. Nous avons pris des profits dans le commerce de détail, les matériaux, l’automobile et le voyage.

Impact des taux d’intérêt élevés à long terme sur les classes d’actifs

La hausse des taux d’intérêt cause de gros changements dans les classes d’actifs.

Les liquidités génèrent maintenant plus de 5%, du jamais vu en 20 ans. Il est maintenant payantd’être patient et d’attendre de meilleurs points d'entrée.

Il y a 2 ans, nous écrivions que les revenus fixes vivaient une des plus grandes bulles de l’histoire, payant 1.5% pour une obligation de 30 ans. Elles se dirigent aujourd’hui vers une troisième année consécutive de rendement négatif, une première en plus de 200 ans. Le taux sur une obligation 10 ans est au plus haut depuis 2007, mais nous sommes encore patients dans ce secteur, car la courbe de rendement est inversée. Une obligation de 1 an rapporte 1.5% de plus qu’une de 10 ans. Ce secteur performe mieux que les liquidités lorsque les taux arrêtent de monter donc nous le surveillons. Il commence à y avoir d’excellentes opportunités dans des obligations à escomptes pour les comptes taxables.

Enfin, si les actions paraissent dispendieuses à court terme, elles ont tendance à remonter bien plus tôt que l’économie. De plus, l’inflation et les taux d’intérêt élevés devraient être une bonne nouvelle à long terme, surtout pour les actions de qualité avec de forts avantages concurrentiels et peu endettés. Les actions performent mieux que les autres classes d’actifs à long terme. Elles ont très bien performé pendant les années 80 et 90, lorsque les taux étaient élevés.

Tout cela va probablement nous permettre d’atteindre nos objectifs financiers à long terme plus facilement. La hausse des taux nous permettra d’obtenir un meilleur rendement, tout en prenant moins de risque.