2023 : L’inflation ne sera plus au centre des préoccupations

12 janvier 2023 | Alain Daaboul


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L’année 2022 fut d’une rare difficulté sur les marchés financiers, mais malgré ce contexte, nos portefeuilles ont surperformé leurs indices respectifs de 10% à 15%.
Les actions ont chuté de plus de 15%, leur plus mauvaise année depuis 2008 tandis que les revenus fixes ont baissé de plus de 10%. C’est la première année depuis plus de 50 ans que ces 2 classes d’actifs baissent de plus de 10% la même année. Cela s’explique par la forte montée de l’inflation et des taux d’intérêt. Fin 2021, les taux de la banque centrale américaine (F.E.D) étaient à 0.1% et elle prévoyait 0.9% un an plus tard. Ils sont aujourd’hui à 4.33%, soit la plus forte hausse des temps modernes.
Notre surperformance s’explique par notre activité tactique au cours de l’année ainsi que notre portefeuille diversifié, composé d’actions de qualité. En 2021, nous avions surperformé dans un marché haussier, en mettant l’emphase sur les titres de reprises par rapport à ceux qui avaient profité de la pandémie. Début 2022, nous avions écrit qu’il fallait maintenant analyser les titres selon leur impact face à l’inflation car cette dernière était grandement sous-estimée, à cause des perturbations liées à la pandémie. L’avenir allait nous donner raison très rapidement, amplifié par l’invasion de l’Ukraine.
Lors de notre lettre financière du 3ème trimestre, nous disons que l’inflation allait ralentir à cause des forts inventaires, de la baisse des commodités et du ralentissement de l’économie mais que cette dernière allait être contenue, grâce à la pénurie de la main d’oeuvre et des immenses réserves détenues par les consommateurs. Ce scénario a commencé à se réaliser depuis 3 mois et le marché a commencé à miser sur lui. Nos portefeuilles en ont profité, en augmentant deux fois plus vite que les marchés au 4ème trimestre et nous sommes confiants que ce scénario rejaillira en 2023.
 

Ralentissement de l’inflation
Il y a de nombreux signes que l’inflation est en train de ralentir aussi rapidement qu’elle a monté. La majorité des commodités, comme le pétrole et le blé, ont monté de plus de 50% en début d’année avant de la finir au même niveau qu’au début. Le transport maritime était en hausse de 52% en avril avant de chuter de 55% et de finir l’année en baisse de 30%. L’inflation des 3 derniers mois se situe à 0.6%, soit une inflation annualisée de moins de 3%.
Le marché prévoit que les taux vont arrêter d’augmenter, et qu’ils vont même rebaisser d’ici 1 an. Nous sommes d’accord pour le premier point mais ne sommes pas certains pour le deuxième. On pourrait vivre une plus forte inflation à cause de la démographie et du manque de ressources. Ce scénario serait très bon pour nos rendements à long terme.

Il se peut que la F.E.D augmente trop les taux d’intérêt car elle n’a pas encore changé son message. Nous prévoyons qu’elle devra suivre l’inflation. Les 2 derniers importants indicateurs qui supportent encore l’inflation sont l’emploi et l’immobilier. Cette situation est normale car ils suivent généralement l’économie. Il y a une grande pénurie de main d’oeuvre mais la F.E.D regarde l’augmentation des salaires et les offres d’emploi, et ces derniers sont revenus au niveau de 2021. L’immobilier augmente à cause du coût de financement et des loyers. Les prix continuent de se maintenir malgré la hausse des taux et la chute de la demande. Il n’y a toujours pas de vendeurs forcés mais cela pourrait survenir en 2023.
Nous disions en 2022 qu’il y avait plusieurs secteurs en situation de bulle à cause de l’argent facile et des nouveaux investisseurs. Ces secteurs étaient la technologie, les revenus fixes à long terme, la cryptomonnaie et l’immobilier canadien. Les 3 premiers ont éclaté en 2022 et les pertes des investisseurs ont été énormes. L’immobilier va sûrement suivre et il est possiblement le plus grand risque à la croissance économique en 2023.
Au Canada, une hypothèque de 500 000$ coûte aujourd’hui environ 2 400$ en intérêt seulement. Notre secteur immobilier a augmenté 3 fois plus rapidement qu’aux E-U depuis 25 ans. De plus, 40% des Canadiens ont des taux d’intérêt variables par rapport à 1% pour les Américains. Après un rééquilibrage qui nous paraît probable, l’immobilier devrait bien faire à long terme à cause du manque de maison et de la forte immigration.

 

Perspectives des marchés en 2023
Comme le passé récent nous l’a démontré, il est périlleux de faire des prédictions. Il faut être prêt à changer d’opinion à tout moment.
Mais nous sommes assez confiants pour 2023. L’année dernière a été celle où les investisseurs n’ont jamais été aussi négatifs depuis 1987, et ils croient que les problèmes de 2022 vont continuer cette année. L’histoire nous enseigne qu’investir lorsque tout le monde a peur est souvent payant à long terme. Les crises et l’incertitude font partie des cycles économiques et ont souvent précédé de fortes hausses. Après une année négative, le marché boursier a monté de plus de 20% dans 53% des cas depuis 1950. La bourse augmente en moyenne de 17% douze mois après l’apogée de l’inflation, qu’il y ait récession ou pas. S’il y a récession, la hausse se fait plus vers la fin des 12 mois et l’année est plus volatile.
D’ailleurs, notre analyse démontre que les compagnies ont commencé à performer selon leurs résultats et l’évolution des profits et non uniquement selon leur exposition à l’inflation. Par exemple, les secteurs industriels, financiers et technologiques ont été affectés par l’inflation au premier semestre. Le premier a fortement remonté depuis 3 mois, le deuxième s’est stabilisé tandis que le troisième a continué sa chute.
Comme dans le passé, nous favoriserons des actions faciles à comprendre, leaders dans leur industrie, qui ont de bonnes marges de profits et arriveront à les maintenir. Nous allons rester très actifs pour nous adapter aux conditions changeantes du marché.

Voici un résumé de notre positionnement actuel par secteur.
 

Industriels et Consommation discrétionnaire
Ces deux secteurs ont été très affectés par l’inflation, mais ont eu des résultats contraires en 2022.
La consommation discrétionnaire a chuté au cours de l’année à cause de la faiblesse du commerce électronique, du commerce de détail et de l’automobile. Nous étions surpondérés ce secteur en début d’année, mais finissons l’année sous-pondéré. Nous avons vendu Canadian Tire, notre plus grande position fin 2020, avec un profit de 75% en deux ans. Nous avons anticipé que la forte demande dans certains produits pendant la pandémie ne pouvait durer et qu’elle allait rencontrer des problèmes liés à leurs inventaires élevés. Cela s’est avéré juste car le titre a perdu 27% depuis. Elle reste une excellente compagnie et nous croyons la revisiter d’ici 18 mois.
Le changement des dépenses des consommateurs, surtout dans les voyages, explique en grande partie pourquoi nous avons acheté des titres dans le secteur industriel en été, qui est maintenant le secteur où nous sommes le plus surpondéré. Nous avons prévu que les voyages allaient être la priorité pour revivre normalement. Comme la capacité n’a pas augmenté, les prix risquaient de le faire, ce qui n’allait pas déranger les gens fortunés qui ont des économies record. C’est ce qui s’est passé. Air Canada et Boeing sont maintenant dans nos dix plus grosses positions. Les deux affichent des petits rendements négatifs pour l’année mais ont rebondi au 4ème trimestre. Boeing a monté de 57% depuis 3 mois. 55% de leurs revenus viennent du domaine militaire et une commande d’avion aujourd’hui sera livrée en 2028 au plus tôt.
CP reste notre plus grande position dans le secteur, en hausse de 12% pour l’année et nous croyons qu’elle est en bonne position pour le futur. Uber est notre position qui a le plus mal performé dans le secteur, en baisse de plus de 40%, mais nous croyons qu’elle va rebondir, car elle commence à afficher de très bons flux de trésorerie, surtout dans la mobilité.
 

Commodités : Énergie et Matériaux
On aurait pensé que ces secteurs qui profitent de l’inflation auraient tous 2 augmenté en 2022. L’énergie, le secteur le plus malaimé, a été le seul secteur positif sur les marchés en 2022, en hausse de plus de 50%. Mais les matériaux, après une forte augmentation au premier trimestre, ont fini au même niveau qu’en début d’année. Nous étions surpondérés les 2 secteurs en début d’année et le sommes toujours.
Nous avons fait beaucoup d’achat en énergie en 2021, après avoir réalisé que la demande allait être plus forte que l’offre. C’est ce qui s’est produit, exacerbé par l’invasion ukrainienne. Les producteurs de pétrole ne réinvestissent aujourd’hui que 39% de leurs profits. Les prix ont baissé en fin d’année avec la crainte du ralentissement de l’économie mondiale, le confinement en Chine et la vente par les E-U de 200 millions de barils de pétrole de leurs réserves stratégiques. Ces trois facteurs devraient s’atténuer en 2023, les Américains devront même racheter le pétrole vendu. Le secteur demeure détesté et se transige 2 fois moins cher que le marché, du jamais vu en 50 ans. La transition énergétique sera très compliquée et plus de 80% de la production d’énergie dans le monde reste fossile. Les titres dans ce secteur vont générer d'énormes profits cette année et vont les redonner aux actionnaires.

Nos 2 plus grands gagnants sont dans ce secteur, Schlumberger, un fabricant d’équipement européen, en hausse de 80% et Arc Energy, un producteur de gaz naturel de 62%.
Dans les matériaux notre plus grande position demeure Nutrien, dans l’agriculture. Le titre a progressé de 7% en 2022 mais était en hausse de plus de 50% au printemps. Nous n’y avons pas pris de profits car nous n’étions pas certains des conséquences de la guerre en Ukraine, vu que les deux plus grands producteurs de fertilisants dans le monde sont la Russie et la Biélorussie. Nous croyons que la compagnie est bien positionnée et que la demande sera plus forte que l’offre pendant quelques années.
Notre 3ème plus grande position Canfor, un producteur de bois, a baissé de 34%. Elle est toujours plus du double que notre prix d’achat initial en 2020, et nous y avons pris des profits en 2021. La compagnie va souffrir à court terme, mais a de bonnes perspectives à long terme et se transige à moins de 5 fois les profits.
Enfin, les métaux de base, dont l’or qui est en baisse depuis l’été 2020, ont rebondi en fin d’année et nous croyons que leur remontée va continuer en 2023.
 

Financières
Ce secteur, le plus grand au Canada, est celui où nous sommes le plus sous-pondérés. Les banques sont difficiles à analyser et devraient être affectées par la baisse de l’immobilier. Mais elles vont aussi profiter de la hausse des taux d’intérêt donc nous avons commencé à en acheter, surtout celles qui dépendent moins du Canada.
Nos trois plus grandes positions ont mieux fait que le secteur et ne sont pas des banques canadiennes, soit Wells Fargo, Manulife et Element Fleet. Cette dernière gère et finance le parc automobile de grandes entreprises, a augmenté de 45% en 2022 et a un bon potentiel.
 

Technologie
Ce secteur, le plus aimé, a chuté de près de 40% en 2023. La chute fut brutale car près de la moitié du marché américain y était liée en début d’année et les investisseurs de détail en détenaient trop. Plusieurs titres qui n’ont jamais affiché de profits ont plongé de plus de 70%. Malgré la chute du secteur, les investisseurs y ont acheté pour plus de 100 milliards de $ en 2022. L’histoire nous démontre que c’est une stratégie risquée donc nous y serons très sélectifs.
Nous détenions 9% de nos actions dans ce secteur début 2022. Malheureusement, cette partie a été ce qui a le plus nui à nos rendements. Les titres que nous possédons ont baissé d’environ 35%. Nous croyons qu’elles demeurent bonnes. Nous avons profité de la chute au cours de l’année pour acheter des leaders dans leur secteur avec de bonnes marges bénéficiaires et de très bons thèmes à long terme et avons fini l’année avec 12% dans le secteur.
Ces firmes se situent majoritairement dans les semi-conducteurs et les logiciels. Nous avons initié des positions dans Apple, Palo Networks (cybersécurité), Constellation Software et CGI, deux compagnies de logiciels canadiens stables.

 

Consommation courante et Santé
Ces deux secteurs, considérés comme défensifs, ont fait leur travail en 2022, en finissant l’année au même niveau qu’au début. Nous les avions surpondérés car il s’y trouve d’excellentes compagnies qui génèrent de bons profits avec des avantages concurrentiels durables à long terme.
Nos plus grandes positions dans la consommation courante demeurent Alimentation Couche-Tard et Costco. Après une excellente année en 2021, le premier a monté de 13% tandis le deuxième a baissé de 19%, ce qui est quand même mieux que les autres firmes dans le commerce de détail. Nous croyons toujours en leur modèle à long terme.
La santé a été une bonne surprise pour nos portefeuilles. En début d’année, nous avons pris de profits dans CVS et Pfizer, qui avaient bien performé en 2021. Les pharmaceutiques ont tendance à chuter à tous les deux ans avant les élections américaines, avant de remonter rapidement. Ce ne fut pas différent cette année. De juillet à octobre, nous en avons profité pour acheter Gilead, Merck et Novartis, et ils ont augmenté d’environ 30% depuis.
Le réflexe des investisseurs en ce début d’année incertain est d’ajouter à ces secteurs défensifs mais nous allons probablement y prendre des profits car certains titres sont maintenant dispendieux.
 

Immobilier, Télécoms et Services publics
Nous avions prévu que ces secteurs n’allaient pas bien performer et ce fut le cas. Leurs revenus sont souvent négociés à l’avance et ce sont des compagnies souvent endettées qui sont affectées par l’inflation et la hausse des taux d’intérêt.
Nous avons vendu nos positons dans Rogers et TC Energy en début d’année et avons pris des profits dans Telus. Ils ont baissé de 25% depuis. Nous allons demeurer prudents dans ces secteurs.