Les changements de politiques marquent-ils un tournant pour les actions européennes?

04 avril 2025 | Frédérique Carrier


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Galvanisée par la rhétorique américaine, l’Union européenne semble se diriger vers une plus grande cohésion et une augmentation des dépenses budgétaires. Nous examinons les conséquences pour le marché boursier régional.

Les changements de politiques marquent-ils un tournant pour les actions européennes?

Des changements colossaux ont lieu en Europe. Stimulé par des signes indiquant que le traditionnel soutien à la sécurité des États-Unis pourrait être retiré ou, du moins, réduit, le parlement allemand a récemment adopté des mesures de relance budgétaire historiques, une décision que n’ont pas prise des générations de législateurs. Selon nous, l’Allemagne devrait désormais entrer dans une nouvelle phase, mettant fin à une période où les contraintes budgétaires ont freiné la croissance et miné la compétitivité.

Le programme budgétaire allemand assouplit la limite des déficits structurels afin de permettre une augmentation des dépenses en défense, une mesure qui les laisseraient effectivement sans contrainte. Il créera aussi un fonds spécial de 500 milliards d’euros (soit une portion considérable de 12 % du PIB annuel) pour les investissements en infrastructures au cours des 12 prochaines années. Les secteurs des transports, des hôpitaux et des soins, de l’énergie, de l’éducation, de la numérisation et de la R&D sont tous ciblés.

Il convient de noter que ces mesures ont été défendues par le futur chancelier et chef du parti CDU/CSU Friedrich Merz, qui avait récemment fait campagne sur la préservation des restrictions budgétaires. Son changement de cap important souligne la gravité de la situation et de l’engagement.

Par ailleurs, la Commission européenne a proposé un plan pour combler les lacunes des capacités de défense de la région d’ici 2030, recommandant un financement pouvant aller jusqu’à 800 milliards d’euros. Ce plan prévoit, entre autres, des prêts conjoints à hauteur de 150 milliards d’euros pour des investissements dans la défense et l’exemption des dépenses militaires par les États membres de l’EU des règles relatives au déficit.

Les émissions conjointes de titres de créance sont depuis longtemps une question controversée au sein de l’UE, et elles ont traditionnellement été réservées à des périodes de crise, comme la pandémie de COVID-19. Les États membres les plus riches du Nord hésitent à subventionner leurs voisins moins fortunés, ce qui rend de telles mesures politiquement sensibles. Le fait que les émissions conjointes soient une fois de plus envisagées souligne une fois de plus l’urgence de la situation actuelle et donne à penser que la volonté de renforcer l’unité financière au sein du bloc pourrait augmenter. Les dirigeants de l’UE doivent à présent faire approuver le plan dans leurs pays.

Amélioration des perspectives économiques

Ces changements se produisent à un moment où l’économie de la région reprend de la vigueur. Les économistes de RBC Marchés des Capitaux soulignent que les revenus réels ont légèrement grimpé en raison de l’apaisement de l’inflation. Cette situation et l’effet décalé des réductions des taux hypothécaires en cours par la Banque centrale européenne (BCE) devraient soutenir une reprise de la consommation.

Les indicateurs d’activité économique, comme l’indice des directeurs d’achats HCOB Eurozone Composite, sont maintenant légèrement en territoire d’expansion.

L’économie européenne sous-jacente affiche des taux de croissance supérieurs à la moyenne à long terme
Contributions à la croissance du PIB de l’Union européenne
Contributions à la croissance du PIB de l’Union européenne

Le graphique montre la répartition trimestrielle du PIB de l’Union européenne depuis le premier trimestre de 2022 et trois facteurs qui y ont contribué le plus : la consommation privée, la consommation publique et les investissements fixes. Les données ont été très volatiles au cours de cette période. La consommation privée a joué un rôle très modeste du deuxième trimestre de 2023 au deuxième trimestre de 2024. Depuis le troisième trimestre de 2024, elle est devenue un moteur de croissance économique plus important. Au quatrième trimestre de 2024, les trois facteurs ont eu une incidence positive sur la croissance et, depuis le deuxième trimestre de 2024, l’économie a connu une croissance constante d’un trimestre à l’autre.


Consommation privée

Consommation publique

Investissement en immobilisations
 
Demande intérieure finale d’un trimestre sur l’autre

Demande moyenne à long terme

Remarque : à l’exclusion de l’Irlande en raison des données volatiles.

Sources : RBC Gestion de patrimoine, RBC Marchés des Capitaux, Haver Analytics, Eurostat

Le programme budgétaire de l’Allemagne et les dépenses en défense de l’UE sont également des facteurs légèrement favorables. Les économistes de RBC Marchés des Capitaux estiment que les dépenses en infrastructures de l’Allemagne, si elles augmentent au cours des trois prochaines années, pourraient faire grimper de 0,5 % le PIB par année pour le pays, ou de 0,15 % pour la zone euro. Les retombées pourraient être plus importantes à court terme si les dépenses sont hâtives. De plus, ils estiment que l’augmentation des dépenses militaires globales de l’UE, qui passeront de 1,4 % à 3 % du PIB en 2030, pourrait avoir un effet direct de 0,3 % par année sur la croissance du PIB réel, en moyenne, d’ici 2030. Ils reconnaissent toutefois qu’il s’agit d’une hypothèse audacieuse, étant donné que la plupart des forces militaires occidentales éprouvent déjà des difficultés de recrutement même avant ces dépenses supplémentaires.

RBC Marchés des Capitaux a récemment relevé sa prévision de croissance du PIB de la zone euro d’environ 0,5 point de pourcentage par année, ce qui la porterait à 1,9 % en 2026 et à 1,8 % en 2027.

L’incertitude entourant les tarifs douaniers persiste

Le risque évident qui émane de ces estimations est une guerre commerciale. L’économiste en chef de RBC Gestion mondiale d’actifs inc. Eric Lascelles soutient que l’incidence des tarifs douaniers sur les économies européennes ne devrait pas être trop douloureuse, parce que, contrairement au Canada et au Mexique, l’Europe n’effectue pas suffisamment d’échanges commerciaux avec les États-Unis. La BCE a calculé qu’un tarif général de 25 % pourrait freiner la croissance du PIB régional de 0,3 point de pourcentage sur 12 mois. Bien que les tarifs douaniers imposés par la Maison-Blanche soient un peu plus bas, à 20 %, leur incidence sur la croissance économique dépendra de la durée de leur maintien en cours, de la façon dont l’UE réagira et de l’incidence négative des nouvelles politiques commerciales sur la confiance des entreprises et des consommateurs dans la région et à l’échelle mondiale.

M. Lascelles continue de croire qu’un jour, une entente sera conclue et que des tarifs moindres partiels seront imposés, comme lors de la première présidence de Trump, même si ce processus pourrait prendre de nombreux mois. Entre-temps, les économies des plus grands exportateurs européens vers les États-Unis (y compris l’Allemagne et l’Italie) devraient subir les contrecoups. L’incidence sur les bénéfices devrait être relativement limitée, étant donné que de nombreuses sociétés ont des activités de fabrication aux États-Unis.

Pour l’instant, nous croyons que la nouvelle impulsion budgétaire positive dans la zone euro devrait compenser l’incidence négative des tarifs douaniers, même si nous reconnaissons que le risque pour la croissance pourrait être en baisse.

Planification d’un nouvel itinéraire

Les problèmes structurels de l’Union européenne, notamment le manque d’investissements par l’Allemagne, sont l’une des principales raisons qui expliquent la prudence des investisseurs mondiaux à l’égard du marché boursier européen. Or, les événements récents donnent à penser que le bloc est peut-être prêt à s’attaquer à ces problèmes, en agissant avec urgence et cohésion. À l’image de ce sentiment, les marchés se sont redressés depuis le début de l’année, mais l’enthousiasme débordant a fait place au scepticisme à l’égard de la mise en œuvre. Les programmes de relance massifs comportent des risques, notamment des problèmes de calendrier et une mauvaise affectation potentielle des fonds. Les préoccupations à l’égard des tarifs douaniers pèsent également sur les actions régionales.

Néanmoins, nous croyons que sur un horizon de 6 à 12 mois, une pondération au marché dans la région est maintenant appropriée, comparativement à une sous-pondération. Ce nouveau positionnement reflète mieux l’amélioration des perspectives, tout en tenant compte du fait que les événements liés aux tarifs douaniers américains pourrait entraîner de la volatilité.

Les valorisations des actions européennes demeurent près d’un creux historique par rapport à celles des actions américaines et mondiales sur une base corrigée des variations sectorielles. Selon nous, il est essentiel d’être sélectif et d’adopter une approche active pour cette région, alors qu’elle offre un vaste éventail d’occasions de sélection de titres. Nous croyons qu’il existe des occasions potentielles dans les sociétés européennes de calibre mondial qui profitent de facteurs structurels favorables à l’échelle mondiale, en particulier dans les secteurs des technologies, des soins de santé et des produits industriels. Nous entrevoyons également des occasions dans des créneaux exposés à l’amélioration de la situation intérieure et dans des secteurs ciblés par les nouvelles politiques budgétaires, notamment les banques, la défense et les biens d’équipement.


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