Une autre baisse du taux directeur de la Réserve fédérale américaine (Fed) cette semaine a fait entrer les taux d’intérêt américains dans une nouvelle ère où à notre avis chaque baisse de taux signifie non seulement que la politique monétaire sera plus accommodante, mais que les risques deviendront trop « faciles » et que les décisions deviendront seulement plus difficiles.
Comme beaucoup s’y attendaient, la Fed a procédé à sa troisième baisse de taux consécutive pour clore l’année 2025, tout en demeurant évasive quant à ce à quoi les investisseurs pourraient s’attendre en 2026. Toutefois, nous croyons que cette dernière réduction de taux pourrait constituer un point d’inflexion pour la politique monétaire, l’économie et les marchés.
Avec cette dernière réduction de taux à un point médian effectif de 3,63 % et après une campagne pluriannuelle de niveaux élevés, le taux directeur semble maintenant se situer dans la fourchette « neutre » théorique de l’économie américaine – ou le point auquel on estime que la politique monétaire n’est ni restrictive ni favorable à la croissance économique et aux pressions inflationnistes. À la réunion de décembre, les décideurs ont jugé que la fourchette se situait entre 2,6 % et 3,9 %, avec une médiane de 3,0 %.
Les taux d’intérêt américains entrent dans une zone neutre
Sources : RBC Gestion de patrimoine, Bloomberg, Réserve fédérale américaine; indique la prévision médiane et la fourchette des projections à long terme des fonds fédéraux
Le graphique montre le point médian du taux directeur de la Fed par rapport à ses prévisions trimestrielles du taux d’intérêt à long terme, ou le point neutre. En décembre, la fourchette des estimations se situait entre 2,6 % et 3,9 %, avec une médiane de 3,0 %. Comme les taux directeurs se situent actuellement à 3,63 %, ils se trouvent dans la limite supérieure de cette fourchette.
Bien qu’inchangées, la médiane et la fourchette ont progressé au cours des dernières années par rapport aux niveaux observés pendant la pandémie. Comme près de la moitié des décideurs croient que le taux dit neutre est supérieur à 3,0 %, toute nouvelle réduction des taux inciterait davantage de personnes à estimer que la politique monétaire est en territoire accommodant à un moment où ce n’est peut-être pas nécessaire selon la conjoncture économique et inflationniste.
Contrôle des impulsions
Toutefois, comme la Fed commence à assouplir sa politique monétaire, risque-t-elle d’entrer en collision avec quelque chose d’inattendu?
La banque centrale a apporté plusieurs ajustements importants à son sommaire des projections économiques. Les estimations de croissance économique pour l’an prochain ont été fortement revues à la hausse, passant de seulement 1,8 % en septembre à 2,3 %. Un rythme de 2,3 % serait également nettement supérieur à l’estimation de 1,8 % de la Fed quant au taux de croissance durable à long terme de l’économie américaine, situation qui intensifierait normalement les impulsions inflationnistes.
Mais peut-être pas, du moins aux yeux de la Fed. L’inflation de base des dépenses personnelles de consommation prévue l’an prochain a été légèrement abaissée, passant de 2,6 % en septembre à 2,5 %, mais elle demeure bien au-dessus de la cible d’inflation de 2,0 % de la Fed (en fait, selon ses plus récentes projections, l’inflation ne reviendra pas à 2,0 % avant 2028). Lorsqu’on lui a demandé pourquoi le raffermissement de la croissance l’an prochain était jumelé à une prévision d’inflation moindre, le président de la Fed, Jerome Powell, a laissé entendre que les gains sur les plans de l’intelligence artificielle et de la productivité pourraient compenser l’effet des pressions inflationnistes. Bien que possibles, les gains de productivité dictés par la technologie peuvent être passagers, et ça peut prendre des années avant de les comprendre et les réaliser entièrement.
Enfin, le taux de chômage devrait s’établir à 4,4 % à la fin de 2026, soit au même niveau que l’estimation précédente et conformément au taux de chômage actuel. Encore une fois, cette situation va à l’encontre d’un contexte de croissance plus vigoureuse, mais elle pourrait aussi être représentative de l’IA, car les marchés de l’emploi sont à un point de transition et d’inflexion dicté par la technologie.
Cela dit, nous décelons des signes d’amélioration du contexte de l’emploi au cours des derniers mois. Publié cette semaine, le nombre de postes vacants jusqu’en octobre a largement dépassé les estimations consensuelles de Bloomberg et il n’a pratiquement pas changé au cours de la dernière année et se situe toujours à des niveaux historiquement élevés. Par ailleurs, 19 % des petites entreprises ont annoncé leur intention d’embaucher, soit le meilleur résultat depuis 2022. Bien que ces intentions d’embauche puissent être volatiles, elles cadrent avec d’autres récentes mesures de la confiance des consommateurs, comme le sondage de confiance des consommateurs du Conference Board (indicateur de la difficulté perçue à obtenir des emplois), qui est tombé à son plus bas niveau depuis juin, et l’indice de probabilité de perte d’emploi de l’Université du Michigan, qui a fortement sombré dans la première partie de décembre.
Le marché américain de l’emploi montre des signes de regain?
Sources : RBC Gestion de patrimoine, Bloomberg, Sondage sur les petites entreprises de la National Federation of Independant Business (NFIB)
Le graphique montre le nombre d’offres d’emploi aux États-Unis et le pourcentage net de petites entreprises sondées par la NFIB qui prévoyaient embaucher au cours des trois prochains mois. Au mois d’octobre 2025, il y avait 7,6 millions d’offres d’emploi, ce qui est conforme à la moyenne des deux dernières années. Par ailleurs, 19 % des petites entreprises ont annoncé leur intention d’embaucher au cours des trois prochains mois, ce qui correspond au taux le plus élevé depuis 2023.
Tout compte fait, nous entrevoyons que les données liées à la croissance économique et, dans une certaine mesure, à l’inflation, pourraient être plus élevées que prévu l’an prochain, tandis que nous pensons que les récentes mesures de la Fed suffiront à renforcer les marchés de l’emploi et possiblement à faire grimper de nouveau l’embauche, comme nous l’avons vu au début de 2025.
Quand 2 = 6
L’autre point de mire de cette réunion a été la mesure dans laquelle l’opinion des décideurs pourrait diverger, soit en faveur d’une réduction si la Fed maintenait son taux, soit en faveur du statu quo si elle l’abaissait. En fin de compte, seulement deux décideurs ont voté contre la baisse de taux de cette semaine.
Toutefois, selon les projections mises à jour de taux de la Fed, six décideurs ont indiqué que les taux termineront l’année à la limite supérieure de la fourchette de 4,0 %, ce qui signifie qu’il n’y aura pas d’autres baisses de taux à la réunion de décembre cette semaine. Peut-être qu’aucune de ces personnes n’a voté en faveur de la politique cette année, ou peut-être que M. Powell a simplement réussi à convaincre d’autres personnes d’appuyer une baisse de taux. Toutefois, cette situation donne à penser qu’il y a déjà une importante cohorte à la Fed qui avance de robustes arguments en faveur du maintien des taux.
Les membres votants l’an prochain tendront au durcissement de ton, à notre avis. Deux des membres les plus pugnaces de la Fed, selon les commentaires du public, les présidents de la Réserve fédérale de Dallas et de Cleveland, se joignant aux membres qui ont opté pour la prudence, ainsi que le président de la Fed de Minneapolis, qui a également fait clairement savoir qu’il fallait faire preuve de réserve à l’égard de nouvelles réductions du taux cible.
Quoi qu’il en soit, cette situation prépare le terrain pour l’an prochain – et pour un nouveau président de la Fed – et probablement une série d’autres décisions controversées de la Fed. Une volatilité et une incertitude accrues pourraient en découler, car le pouvoir de la Fed pourrait passer du président au comité des votes, les marchés étant plus sensibles que d’habitude aux commentaires publics autres que ceux du président de la Fed.
Qu’est-ce que tout cela signifie?
En ce qui concerne les taux des titres du Trésor, nous pensons qu’à court terme la courbe des taux prendra une forme légèrement à la hausse et plus accentuée. Comme la Fed maintient le statu quo, bien qu’elle penche une autre réduction, le taux des obligations du Trésor à 2 ans devrait se maintenir autour de 3,5 %. Toutefois, le taux des obligations à 10 ans, qui est plus sensible à la croissance économique et à l’inflation, pourrait probablement grimper par rapport à son niveau actuel d’environ 4,10 %. Selon nous, si les marchés de l’emploi se stabilisent ou s’accélèrent à nouveau, nous croyons qu’il sera possible que ce taux renoue avec une fourchette de 4,2 % à 4,6 %, soit son niveau d’avant septembre.
Pour les investisseurs en titres à revenu fixe, nous croyons que le contexte demeurera intéressant pour tirer parti des courbes de taux abruptes et des remontées des taux afin de repositionner les portefeuilles en liquidant leurs obligations à court terme au profit de celles à rendement plus élevé pendant plus longtemps plus loin sur la courbe.
Sur le plan des marchés en général, la Fed se joint maintenant à un nombre toujours croissant de banques centrales mondiales qui sont à la fin de leurs cycles de réduction des taux cibles respectifs ou qui s’en approchent, certaines ayant même tourné la page et considérant des hausses de taux, et un contexte plus volatil connexe pourrait en découler.